Je me souviens de vous. Nous étions soudés. Cette famille choisie nous rendait plus forts, ensemble ou séparément. Vous m’appreniez à m’aimer et je vous aidais à vous comprendre. Après avoir erré seuls, nous nous sommes reconnus. Il nous fallait marcher côte à côte dans les mêmes endroits pour montrer la force de notre amitié. Notre groupe était populaire, les gens nous enviaient. Nous avions simplement trouvé le moyen d’être heureux malgré nos peurs puisque que nous nous les gardions respectivement. Les enfants échangent leurs bonbons par préférence de couleur. Tu aimes les bleus je préfère les roses. Gérer ton traumatisme était facile pour moi puisqu’il ne m’appartenait pas, pendant qu’un autre gérait mes craintes. Nous parlions tout le temps, nous riions tout le temps. Nous étions puissants. La chimie n’explique en rien que tant de faibles solitaires soient si fort ensemble.
Une fois apaisés de nos traumatismes, nous avons commencé à nous émanciper. D’aucuns attendaient des discordes au sein de notre groupe expliquant l’éloignement mais il n’y en eu jamais. Les points de vue et les expériences, elles, ont eu raison de notre unité. Nous nous étions pansé mutuellement, il nous fallait penser désormais. Chacun était sorti de son adolescence bouleversante grâce aux autres. Armés, nous pouvions enfin retourner dans le monde où nous n’étions pas seuls. On ne s’est pas menti en déclarant que nous serions amis pour la vie, la seule chose qui ne fonctionne plus c’est de marcher en permanence côte à côte. Mais nous nous souvenons parfaitement de ce que nous nous devons. Ce groupe nous a poussés à nous aimer. Par un subtil jeu de miroirs, nous avons apprivoisés nos propres reflets.
Certains sont désormais partis, plus loin ou plus vite que les autres. Ces autres ont besoin de garder des liens, mêmes fragiles, mêmes très fin, pour se souvenir, pour avoir une main accrochée à un souvenir précis, pour se rappeler de ce fil qui les relie à l’unité passée. Personne n’est triste de n’avoir plus ou peu de nouvelles des absents. La tristesse serait d’oublier ces moments, ces rires, ces peurs apaisées. Mais puisque tout le monde en a fait la base de sa vie, alors rien n’est triste. Nous étions amis à une période où nous étions fragiles. Survivre à soi-même, grâce aux autres. Je suis parti le plus loin, le plus vite. Mais je ne vous oublie jamais, j’étais certainement le plus peureux, et je vous dois de ne plus en souffrir. Je vous aimais au quotidien et désormais, je vous aime pour ce que je vis aujourd’hui.
Photos: Monsieur Gac
Texte: Anthony Navale