Mon visage et mon regard se sont tus. À force de déception, je me suis mis à cacher mes expressions. Elles trahissaient ma pensée. Constater ce que pense quelqu’un est blessant. Je les avais tous blessés. Mon regard les jugeaient, mes sourires leur mentaient, ma tristesse se voyait. Petit à petit, j’atténuais le tout. Pour ne plus les déranger ou les inquiéter, je maitrisais ce qui se voyait. Ça les arrangeait. Trop d’honnêteté est insoutenable, il faut jouer le jeu des masques, des visages lisses. Mon expressivité qui les mettait mal à l’aise s’était gommée d’elle-même. La subtilité de mes traits fut remplacée par le jeu rassurant d’une mine uniforme. L’intérieur ne se traduisait plus à l’extérieur. Ils pouvaient désormais se contenter des convenances et ne plus s’inquiéter de mon ressenti.
Tout n’est désormais que simagrées. Mes expressions et mes émotions publiques sont aussi sincères que les exclamations et les câlins d’une américaine trop heureuse de vous retrouver. On en fait trop pour éviter de ressentir la chose de plein fouet. La caricature nous donne une contenance et un recul nécessaire pour contourner l’émotion. Je ris, je souris, je penche la tête. Tout ça est entendu. A l’intérieur je me contrefous de ce qui se trame, j’espère un accident, une nouvelle grave qui nous arracherait les masques. Mais en attendant les véritables émotions, on joue. Nos mains détournent l’attention si toutefois un regard sincère transperçait le vernis de la convenance.
Il le voyait quand il me blessait. Mes yeux le lui disaient. Il a donc commencé à ne plus être honnête, à me ménager. Mes yeux le blessaient à leur tour. C’est à ce moment-là que je les ai éteints. Petit à petit. Pour se protéger mutuellement, nous nous rendions silencieux. Il ne souhaitait plus voir mon visage affecté, et je ne voulais plus le lui montrer. Parfois aujourd’hui, un rictus trahit l’époque de l’honnêteté. Le coin des lèvres, dans un sourire amer et discret, rappelle le regret, l’ennui, le manque de sincérité. Souvent son sourire redonne un éclat éphémère à mon regard. Ces yeux trop grands dans lesquels on devinait tout. Il aimerait que la comédie cesse, alors il sourit un peu, puis se ravise, puisque la lumière de mes yeux est un spectacle trop triste. Alors nous retournons au monde des convenances et des expressions forcées.
Photographies: Jérôme Sussiau
Texte: Anthony Navale