triste

Tout est grave.

Tout est grave 1

Il m’a piqué. Je l’ai entendu puis je l’ai senti. Ma main se déforme sous la piqure, mais la fatigue m’empêche d’ouvrir les yeux pour vérifier. De toute façon, même si ma main est difforme, elle ne le sera plus au matin, puisque c’est encore la fatigue qui trouble ma perception. Quand je dors, la réalité est augmentée. Ma perception est trop forte. Tout est grave. Tout est lourd. Tout est triste. Ce moustique me veut du mal. Il veut m’utiliser, se servir de moi, profiter de ma faiblesse, de mon sommeil. Et au réveil, il ne redeviendra qu’un moustique nocturne. Le reste, par contre, me voudra du mal.

Tout est grave 2

J’aperçois les choses, mais je n’y prête plus attention. Tout est flou. Tout est gris. Tout est lourd. La machine à café m’empêche de me concentrer. Son bruit m’insupporte. Mais si je ne l’actionnais pas, je ne pourrais même pas sortir de chez moi. Je dois subir son vacarme pour obtenir son jus et paraitre éveillé. Encore du marchandage, de la manipulation. Je regarde dehors pour ne pas la regarder. Et il me semble qu’elle le sait, et qu’elle ajuste son bruit pour m’assourdir davantage. Une fois qu’elle se tait, je la soupçonne encore d’avoir altéré le goût du café. Pour se venger.

Tout est grave 3

Une fois dehors, la lumière est trop forte. Elle se jette sur moi, elle m’empêche de disparaitre. Elle veut qu’on me voie et ça fonctionne. Cette gamine, loin d’être innocente, me nargue. Je l’amuse. Sa jeunesse lui donne le temps d’observer. Son ignorance lui donne le temps de juger. Me juger. Et elle ne s’en prive pas. En la croisant, je me suis senti vieux, tellement loin d’elle. Tout lui appartient, elle pense avoir raison et n’en souffre aucunement. Au contraire, elle semble forte, l’insolente. Et elle s’amuse de voir que les vieux ont baissé les bras, pour mieux lui laisser la place. Ne t’impatiente pas, ignorante, je serai parti bien assez vite.

Tout est grave 4

Tout va très vite. La nuit est déjà là et le rythme de décélère pas. Les autres continuent de courir, de foncer. Seule ma vitesse n’est pas adaptée. Je reste lent, inattentif. Je me rappelle de l’époque où je ne dénotais pas. Ma cadence était correcte. Pourquoi ai-je décidé de ralentir ? À peine la question se pose que déjà elle m’épuise. La réponse ne m’intéresse plus. Je sais parfaitement ce qu’il m’est arrivé. J’avais les clefs pour le supporter. Mais mon émotion est trop forte. Tout est grave. Tout est lourd. Tout est triste. Je retourne servir de repas nocturne, avant de retrouver mes ennemis diurnes.

Photos: Monsieur Gac

Texte: Anthony Navale