J’ai toujours voulu vivre dans ce quartier. Enfant, il m’arrivait d’y passer par hasard avec ma mère. Elle me répétait que dans les beaux quartiers, nous ne pouvions que passer. Jamais nous n’y serions chez nous. Et pourtant j’ai réalisé ce rêve. Je fais désormais partie des résidents qui regardent les admirateurs passer. Ceux qui n’y ont pas leur place. Je ne sais pas si ma mère serait fière de moi, mais désormais, je vis dans ce lieu qui m’était interdit. Et ma vision d’enfant n’est pas altérée. Au contraire, je continue d’aimer cet endroit dans tous ses détails.
Tout m’appartient. Du moins, c’est ce que je ressens. Je connais le contenu de toutes les vitrines alentour. Les objets qui les habillent m’appartiennent. Je me sens toujours un peu triste, voire volé, lorsqu’un bibelot a disparu. Il a certainement fait la joie de quelqu’un d’autre dans le quartier, mais je ne peux m’empêcher d’imaginer que cet objet est parti loin, dans un quartier moins prestigieux que le nôtre. Je suis déçu par son destin. Inverse au mien. Il a quitté le beau quartier, alors que je m’y suis enfin installé.
Je suis surpris par la qualité de mon sommeil. Ces bancs sont vraiment différents. Enfant, je ne regardais que les lumières orangées, les hauts plafonds et les décorations parfois trop chargées. Je n’avais pas prêté attention aux bancs. Pourtant, ils maintiennent mon âme d’enfant intacte. Puisque je continue de regarder le quartier depuis la chaussée. Je continue d’envier la chaleur de ses immeubles. Je peste contre ses résidents trop chanceux, qui ignorent les vitrines de leurs magasins, et laissent s’en échapper les objets. Ils doivent même espérer que je sois un de ces objets, pour qu’on me mette à mon tour, dans un autre quartier.
Photos: Monsieur Gac
Texte: Anthony Navale