J’aime me rendre au cimetière de néons. Deux de mes sœurs y sont représentées. J’aime m’y assoir, leur rendre hommage et laisser les lumières me jouer des tours. J’ai appris qu’avant on enterrait les corps et qu’on signalait l’endroit avec une pierre. Une pierre c’est triste, sans espoir, sans vie. Un néon est plus judicieux pour se souvenir de quelqu’un. Une couleur, une chaleur, une émotion. De toute façon nous ne verrions pas les pierres depuis la Grande Nuit. Elles devaient être plus belles à la lumière du soleil, plus subtiles peut être. On me parle souvent de ça. La capacité qu’avait le soleil à sublimer les choses, même les gens. Quand il pouvait passer le nuage épais de la Grande Nuit.
Le plus haut néon nous donne une idée de ce que pouvait être une source de lumière puissante et globale. Je le vois depuis le cimetière. Ceux qui ont tenté de l’escalader sont retombés rapidement, intoxiqués ou défigurés pour les plus chanceux. Ils sont idiots. On se doute bien que le nuage sera de plus en plus épais en montant. Je me demande combien de temps il faudra encore avant que le haut néon ne disparaisse à son tour, nous avec. La perception de l’espace autour de notre monde nous a fait oublier que nous vivions dans une bulle. Rien ne s’en échappe. Et certainement pas nous.
À partir de quand avons-nous obstrué la lumière ? Nos ancêtres, pour laisser libre court à leur imagination, disaient parfois « sky is the limit ». Ironie. Le ciel était véritablement une limite. S’asphyxier. Tout seuls. Les idiots. Je ne saurais quoi leur dire. C’est ma réalité désormais. Savaient ils en voyant l’air s’épaissir qu’il deviendrait presque solide ? Y pensaient-ils ? Qu’auraient-ils pu faire ? Jamais ils n’auraient pu imaginer que désormais, lorsque nous n’arrivons plus à respirer, nous plantons nous même notre néon avant de nous rendre dans les hauteurs pour ne pas polluer davantage la terre de nos corps. Ma toux est encore supportable. J’attendrai demain.
Photos: Monsieur Gac
Texte: Anthony Navale