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Les instants d’absence.

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Personne n’aime attendre. Chez le médecin ou ailleurs. Les files d’attente nous renvoient au temps perdu. Inversement, les espaces vides alors qu’ils devraient être pleins génèrent de nouvelles angoisses. Suis-je le seul à être malade ? Ce doit donc être grave. Pourquoi personne ne vient ici ? Me suis-je trompé de jour ? La foule nous exaspère et la solitude nous inquiète. Pourtant, ces moments d’absence de foule sont majoritaires. Ce sont nos passages qui sont ponctuels et intenses. Nous nous rendons tous aux mêmes endroits au même moment. Rares sont ceux qui savent profiter des instants creux. Je le fais désormais.

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N’en pouvant plus du temps perdu, j’ai commencé à aménager mes déplacements. Le déclic est arrivé après une altercation dans un grand magasin. Un samedi après-midi. Au cœur de la ville. Une personne à mes côtés s’est exprimée pour elle-même « fais chier, il y a du monde aujourd’hui… ». Ce commentaire banal m’a cette fois irrité. Moi-même exaspéré par la cohue, je n’ai pas supporté que quelqu’un s’en approprie l’exclusivité. De mauvaise foi, je décidais de le remettre en place, me faisant juge de mon propre agacement « Vous êtes donc suffisamment important et unique pour ne pas vous considérez comme le reste de la foule ? Vous vous plaignez du monde ici présent mais un samedi après-midi, c’était à prévoir… Vous y contribuez, au monde ! ». Je ne fus pour lui qu’un bruit de plus dans le brouhaha qui nous entourait. Son regard n’exprimait rien. Pourtant moi, je sortais transformé de cet échange.

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La nuit, les grandes places touristiques sont vides. Le jour, les magasins le sont. Ma pause déjeuner s’est scindée en deux moments distincts : une le matin, une l’après-midi. Je ne mange plus avec le troupeau, je grignote quand j’ai faim et je profite des espaces vides. Idem pour mon sommeil. Je me couche en rentrant, et me réveille pour une balade, seul, avant de revenir terminer ma nuit. Je ne perds plus de temps. Je ne vois plus la foule. Les lieux restent en place. C’est nous qui les investissons en masse, au rythme de la ville. Mais ce couloir ne sera pas plein en permanence. Cette chaise ne sera pas occupée sans discontinuer. Je devais juste venir les déranger pendant les instants d’absence. Je suis désormais seul à profiter d’espace devenus trop grands.

Photos: Monsieur Gac

Texte: Anthony Navale

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Attendez.

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Je savais que j’aurais dû prendre ce livre. Je suis un radin de ma propre énergie. Par paresse, estimant ce bouquin trop lourd pour le porter toute la journée, je l’ai laissé sur ma table de chevet. Je me disais que j’allais le trimballer pour rien, et qu’il n’y aurait pas de raison pour que j’aie le temps de le sortir. Mais à chaque fois que je prends une décision, je me dis aussitôt que j’ai tort. Je savais en le laissant que « comme par hasard » j’aurai un moment dans ma journée où il m’aurait aidé à patienter. Si je l’avais pris par contre, ma journée aurait été bien remplie, sans répit pour me poser et j’aurais regretté de m’être trimballé un poids mort. Mais je ne l’ai pas pris et me voilà à attendre, sans rien à lire.

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J’essaie de lui faire comprendre qu’elle me plait mais je crois que mon regard la terrorise. Quand j’attends, j’ai une sale gueule. J’aimerais engager la conversation ou simplement avoir l’air plus sympathique, mais si je me mets à sourire à une inconnue, je vais devenir flippant. Du coup j’essaie de capter son attention mais rien n’y fait, je dois avoir ma tête de tueur. Celle qui me surprend moi-même quand soudain, dans le métro, la rame quitte le quai pour s’engouffrer dans le tunnel et les vitres se transformant en miroirs me renvoient l’image de ma tête, sinistre. Je ne fais pas exprès. Quand j’attends, j’ai une sale gueule.

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Je n’ose plus regarder. Je ne suis pas une fille timide, mais maintenant, je cherche toujours à regarder ailleurs. À cause de cette fois où, me voulant sympathique, j’ai envoyé un léger sourire à un garçon qui me regardait. Je pensais lui plaire. Il m’a incendiée, me traitant d’allumeuse, que ça ne se faisait pas. J’étais foncièrement contre cette idée que les femmes ne puissent pas draguer en premier ou même simplement flirter, mais mon militantisme s’arrête là où ma sécurité est en jeu. Donc je regarde ailleurs. C’est dommage, j’ai cru plaire à celui-ci aussi.

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J’aimerais qu’elle arrête de me parler. J’espère toujours avoir un moment de silence, mais jamais elle ne s’arrête de me parler. J’étais content de devoir me rendre à ce rendez-vous sans elle, l’attente m’aurait offert une pause, mais non, il a fallu qu’elle souhaite m’accompagner. Ce n’est que du bruit, ça ne veut plus rien dire. Je ne fais même plus semblant d’écouter ou d’acquiescer, et elle n’attend même plus que je réagisse, elle déblatère, en me montrant des articles inintéressants ou en évoquant une rumeur qui ne méritait même pas qu’on la répète. J’envie ces personnes qui attendent seules. Ils peuvent profiter de leur pause. On se plaint d’attendre beaucoup dans une vie, mais j’aimerais attendre en paix.

Photos: Monsieur Gac

Texte: Anthony Navale