obsession

Rouge à la gorge.

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J’y suis allé un peu fort en repeignant ce vélo. Au moins cette fois on n’a pas eu besoin de me le faire remarquer. Quoi que je fasse, on me traite de teigneux, alors autant me faire plaisir ! Mais un objet aussi usuel et commun qu’un vélo n’avait pas besoin d’être personnalisé et entièrement peint en rouge. J’aurais pu me contenter d’un vélo classique. D’autant que je n’en fais jamais. Je prends le bus. Mais je fonctionne comme ça, dès que je suis obsédé par quelque chose, il me faut le décliner et l’appliquer à tout ce qui m’entoure et m’appartient. Je ne m’en rends compte que lorsque j’en arrive à faire quelque chose d’un peu absurde. Comme peindre un vélo en rouge, alors que je n’en ferai jamais.

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Le manteau rouge de femme acheté la semaine dernière aurait dû m’alerter. Je n’en trouvais pas d’aussi vif pour les hommes et je voulais qu’il y ait un manteau rouge dans mon entrée. Du coup, j’ai acheté sans réfléchir ce manteau de femme. Alors que je n’en ai pas, de femme. S’ils en avaient fait de cette couleur précise pour homme, j’aurais eu la chance de pouvoir le porter plutôt que de le laisser pendre chez moi. Mais que voulez-vous ? Il n’y en avait que pour femme. J’ai bien tenté de l’essayer, mais, même si la couleur m’allait parfaitement, la coupe ne me mettait pas en valeur. L’entrée de mon appartement, elle, est ravie par l’installation de cette subtile touche de rouge.

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Ça a commencé quand j’ai vu cet immeuble. Rouge évidemment. Quand je vois quelque chose qui me plait, ou qui me déplait, je deviens une teigne. Je ne pense qu’à ça, je rumine, ça m’obsède. Il me faut une autre obsession pour oublier la précédente. Mais ça peut revenir aussi, ce n’est pas très fiable comme système. Quoiqu’il en soit, cet immeuble m’a semblé sublime. Il me fallait du rouge pour lui ressembler. Je me suis mis à bouffer des trucs dégueulasses rien que pour avoir des assiettes le plus rouge possible. Le piment c’est dégueulasse. Mais l’assiette est d’une beauté ! Après j’ai évidemment teint mes cheveux et la décoration de mon appartement m’a laissé sur la paille pour un moment. Mais c’est très joli. Le vélo reste ma dernière acquisition.

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En revenant prêt de l’immeuble en construction (j’avais besoin d’inspiration pour mes futurs achats) je n’ai pas pu m’empêcher de rester fasciné par les grues majestueuses. Leur force me confortait dans l’idée de la suprématie du rouge, et de la bonne conduite que j’avais à m’en parer. J’ai appris qu’une tour entièrement rouge existait à Tokyo. Le voyage finirait d’achever mes finances, mais je ne peux pas louper ça. En même temps, plus je regarde cette grue, plus je constate à quel point l’intensité de ce ciel bleu la met en valeur. Me serais-je trompé ? Je vais essayer le bleu ciel pour en être sûr.

Photos: Monsieur Gac

Texte: Anthony Navale

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Se mettre au vert.

Vert 1

On me l’a fait remarquer. Je n’en avais pas conscience. Cette obsession était involontaire. D’autres s’en étaient aperçu avant moi. Ce qui prouvait à quel point j’étais atteint. Comment une simple couleur s’est-elle transformée en obsession ? Je déteste les portraits chinois. Se définir avec un seul adjectif, un animal ou une couleur, je trouve ça trop simpliste. Le vert, pour moi, était une couleur parmi tant d’autres. Je n’ai pas de couleur préférée. Pourtant, je me suis mis à en mettre partout. Mes vêtements tout d’abord. Une touche de vert de-ci de-là… Ensuite j’en ai mangé davantage, pensant équilibrer sagement mon alimentation. Puis je me suis mis à cuisiner du vert, dans des recettes où on ne l’attendait pas. C’est d’ailleurs à un diner que j’organisais, qu’on s’est inquiété de comprendre mon obsession.

Vert 2

J’étais surpris. Se soucier d’une telle chose me semblait ridicule. Mais l’ensemble de mes invités partageait cette inquiétude. Ils me regardaient avec la culpabilité qu’on a de dire à un ami qu’il nous a déçu. Gêné d’un tel procès, je me rendis vite compte qu’ils avaient raison. J’étais anormalement attiré par le vert. Plus qu’un excès de goût, cette couleur était devenue une émotion à part entière. Que j’aille au cinéma, au travail ou que je dorme, je ne voyais que lui. Sans savoir pourquoi. Il m’évoquait une sensation agréable, un souvenir de bien-être. Comme lorsque l’on croise un parfum familier, sans savoir à qui ou à quoi il nous renvoie. Je devais comprendre ce qui m’attachait à lui. On ne tombe pas amoureux sans raison, encore moins d’une couleur… La clef était là. Mon amour pour le vert correspondait à un amour véritable. J’étais amoureux. Il y a longtemps.

Vert 3

Le cerveau a cette fâcheuse tendance à stocker des informations qui resurgissent aléatoirement sous forme d’émotions. Mon amour du vert était un substitut absurde à cette histoire que j’avais oubliée. Cela n’avait duré qu’un après-midi. Nous l’avions passé ensemble. Il m’avait proposé qu’on aille se baigner, alors qu’on ne se connaissait pas. Je trouvais cette requête étrange, mais comme nous étions les deux seuls de notre âge sur cette plage, je ne me suis pas formalisé. Ça semblait même logique de tuer le temps ensemble. Les heures passèrent très vite. Ce que je n’avais pas compris c’est que la perfection de ce moment n’était pas due à une amitié inattendue, mais bien à de l’amour que nous n’aurions jamais eu le courage d’assumer à l’époque. Un désir que nous étions trop jeunes pour comprendre. Il m’avait fait remarquer que le soleil avait des teintes vertes, un court instant, avant de se coucher. Il me sembla percevoir ces rayons verts à l’instant même où ses parents venaient de l’appeler pour quitter la plage et rentrer. Je lui dis au revoir maladroitement, et il me serra la main trop longtemps. Nous savions que nous n’aurions pas le courage d’échanger nos adresses. Deux garçons ne font pas ça. Alors ne sachant pas où il est aujourd’hui, je l’aime à travers le vert.

Images: Yohann Lavéant

Texte: Anthony Navale