J’ai vu le film 473 fois. Je n’ai pourtant jamais été dans l’excès, j’étais quelqu’un d’assez raisonnable. Je me considérais même comme un consommateur moyen pour le reste. Je ne regardais que ce qui passe sur les premières chaînes et je n’étais jamais déçu. Je n’avais jamais réagi de manière démesurée ou passionnée. La seule folie que je me sois un jour permis remonte à l’enfance, où j’avais utilisé la monnaie du pain pour m’offrir des bonbons sans autorisation parentale préalable. Initiative juvénile et rebelle. Mes folies se sont multipliées après le visionnage de ce film. Il m’obsède et me pousse à dépenser bien plus que la monnaie restante de l’achat du pain. J’en suis venu à m’acheter un paquebot et son équipage, pour moi seul.
Lors de mon premier voyage à bord d’un navire pour me replonger dans l’ambiance du film, j’ai été terriblement déçu. J’avais anticipé le mal de mer, ne sachant pas si j’y serais sensible ou non, mais je n’avais pas pensé que les passagers me dérangeraient à ce point… Ils n’étaient pas du tout dans le thème ! Certains se promenaient en tongs et en short ! Dans un paquebot ! J’étais scandalisé. Où était leur devoir de mémoire ? Comment pouvaient-ils prendre la mer comme s’ils étaient en vacances ? Certaines petites filles s’amusaient à refaire des scènes du film, celle à la proue étant plus populaire que celle à la poupe, question de sécurité certainement, mais leurs parents se souciaient peu de respecter l’œuvre. J’ai donc décidé d’économiser suffisamment pour me payer la croisière seul. J’ai même exigé que le personnel soit habillé comme au début du vingtième siècle. Je fais l’effort de me gominer les cheveux, ils peuvent tout à fait porter la tenue des employés de l’époque.
Je n’ai gardé que le cinéma à bord. Tout le reste est à l’identique du bateau original. L’utilité de ce cinéma est évidente: je compte dépasser les 500 visions d’ici la fin de ce voyage. Mon fanatisme n’a rien d’exceptionnel, j’ai juste la chance de pouvoir le vivre à fond. Avec des ressources illimitées nous vivrions tous nos passions au maximum. Je commence d’ailleurs à recruter des figurants, fans du film si possible, pour animer un peu plus mes voyages. Je veux que nous puissions tous ensemble vivre la folie de cette époque, la magie de cette traversée. Je reçois quelques candidatures, mais je les trouve encore trop frileuses, sans mauvais jeu de mot. C’est d’ailleurs cela qui effraie les candidats pour ma croisière, ils craignent que je ne fasse exprès de passer trop près d’un iceberg pour revivre complètement la tragédie… Leur idée n’est pas mauvaise. Peut-être que pour la 1000ème diffusion du film je ferai un événement spécial.
Photos: Monsieur Gac
Texte: Anthony Navale