Je suis toujours nue chez moi. Je garde un peignoir sur une patère dans l’entrée au cas où on sonne, mais je ne supporte plus d’être habillée, même l’hiver. Un jour j’ai aperçu un voisin qui m’observait. Qu’il le fasse par plaisir ou par jugement était intolérable. Je n’avais pas à supporter son voyeurisme ou sa morale. Et je n’avais pas non plus à me terrer derrière des rideaux opaques. C’est pourquoi j’ai installé des fenêtres sans teint pour la journée et des rideaux plus épais pour le soir, là je n’avais pas le choix que d’y avoir recours. Il n’y a que chez moi que je le fais. 
Mon voisin illustre parfaitement le paradoxe de notre société. La nudité attire la perversion, ou défie la bienséance. Dans les deux cas elle n’est pas tolérée et ne laisse pas indifférent. J’aimerais qu’on puisse être un peu plus détaché du goût des autres. L’indifférence n’est pas une absence de reconnaissance, c’est surtout la capacité à tolérer au plus haut point. La vie des autres ne m’intéresse pas, non pas par égocentrisme mais tout simplement parce qu’elle ne m’appartient pas. C’est du respect que d’ignorer. J’ai cette chance qu’on ait encore la liberté de pouvoir être nu chez soi, mais parfois je redoute qu’on me retire ce droit.
Du coup, je défie intimement cette société qui ne tolère pas le nu, qui ne tolère pas le mouvement, qui a déterminé les limites du bizarre. Je bouge dans tous les sens, sur de la musique ou non, en faisant des sons inattendus ou des phrases sans logique. On pourrait analyser tout ça, mais je ne me donne pas en spectacle, je le fais pour moi. Le véritable spectacle se déroule dehors. On choisit son costume avant d’entrée en scène et de tenir son rôle. On ne s’est même pas emmerder à trouver un autre mot pour distinguer un costume de travail, d’un costume de scène. C’est dire à quel point il est entendu que nous jouons la comédie, dehors. Mettez-vous en culotte dans une rue et vous verrez la force de ces codes. La même culotte étant tolérée à la plage ou même dans un parc s’il fait chaud, allez comprendre pourquoi…
Le comble vient de l’utilisation de la nudité. Déjà, elle n’existe pas sans la sexualité. La société ne fait pas la distinction. Nudité et pornographie sont liées, alors que c’est un raccourci. Il est très simple de se passer de l’un pour tomber dans l’autre. Et justement, on profite de cette névrose pour tout nous vendre. Le sexe peut tout vendre. On profite de cet interdit pour attirer l’attention. Certains seront franchement choqués pendant que d’autres seront ouvertement excités. Mais personne ne sera indifférent. Et c’est pourtant ce qu’il faudra une nouvelle fois, de l’indifférence et de l’honnêteté.
Photos: Monsieur Gac
Texte: Anthony Navale