C’est la nuit que je le visualise mieux. C’est même à ce moment-là que je le vois parfaitement. Puisqu’il quitte mon souvenir pour s’animer un peu plus et me laisser le contempler. Le reste du temps il est gravé sur ma rétine, je garde sa forme et sa drôle de position en permanence à même mon œil. Comme lorsqu’on regarde directement le soleil et qu’il reste une forme lumineuse à l’intérieur des paupières. Sa silhouette est tout le temps là, dans ma paupière, et contrairement au soleil elle ne s’estompe pas et se ravive même un peu plus la nuit.
J’étais toute jeune la fois où je l’ai vu. J’étais en vacances en bord de mer. Comme mes parents aimaient changer de destination à chaque fois, je me retrouvais toujours seule au début de nos séjours. Cette fois-là je m’ennuyais terriblement. Il y avait des jeux pour enfant juste à côté du terrain de basket où les plus grands passaient leurs vacances. Je ne comprends toujours pas ce besoin de faire du sport quand on est vacances. Quoiqu’il en soit il était amusant de me tenir en haut du toboggan pour les observer. Ils étaient fascinants. Le sort du monde se jouait là pour eux. Tous les instincts se confrontaient, pour marquer des paniers et montrer aux autres sa supériorité. Via un ballon dans un panier. Une symbolique qui m’échappe, certainement. Le 7ème match du jour n’était pas passionnant, ils étaient tous épuisés par la chaleur et commençaient à se ramollir. Mon intérêt décroissant, je décidai de me pendre par les pieds à l’échelle du toboggan. On s’amuse comme on peut. Et c’est une fois la tête en bas que je l’ai vu. Au milieu de ce groupe de sportifs flasques, il s’est élancé avec vigueur pour marquer un panier. Droit, élégant, précis et fort. Le geste était maîtrisé. Dans ma précipitation pour me redresser et le regarder plus longtemps, je suis tombée. Le temps de me relever et de retirer le sable que j’avais sur moi, il avait disparu. L’avais-je rêvé ? Ma position à l’envers m’avait-elle apporté trop de sang au cerveau? En tout cas le choc avait imprimé son image définitivement puisqu’encore aujourd’hui je le vois partout.
J’aime me promener en écoutant de la musique pour poser son image dans les endroits les plus variés, que ce soit devant des monuments, à côté d’un groupe d’inconnus ou simplement en levant les yeux au ciel. C’est amusant. Si j’avais retenu l’image d’un vieillard statique, l’effet aurait été moindre… Parfois ça me bouleverse de ne même pas connaître son visage, mais je m’y fais, et me contente de sa présence. Même sans visage je sais que son image ne me quittera jamais.
Photos: Kapstand
Texte: Anthony Navale