rupture

Déçue par les hommes.

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Frifrouille est particulièrement excité aujourd’hui. Il a déjà du oublier tout ce que je lui ai fait subir… Je me demande comment ce chien peut être si heureux en ayant si peu de fierté. De base je n’aimais pas les chiens. C’est certainement pour cela que je m’en suis achetée un. Pour tester ses limites en termes d’ego. D’ailleurs on dit bien « acheter » un chien et rarement « adopter ». C’est amour se monnaie sans complexe. Si je me suis rabattue sur cette présence c’est parce que le mien avait souffert, d’ego. Je me devais de ridiculiser un être vivant tout en me sentant aimée inconditionnellement. Ma vengeance serait douce et innocente. Frifrouille était la victime parfaite.

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« Tu finiras seule avec des animaux si tu continues ! ». Merci. J’ai donc pris les devants. Je ne voulais pas ressembler à ces personnes amoureuses de leur animal de compagnie. Ressembler n’était pas suffisant. Je devais l’être. Il me fallait un amour fictif mais puissant. Sans retour. Je ne voulais plus d’une personne en face, avec des émotions à gérer. Il me fallait un être suffisamment simple d’esprit pour être capable de m’aimer. Quoique je fasse. Comme j’avais souffert, je l’affublerais des pires costumes pour le rendre ridicule. Aussi ridicule que je l’ai été quand j’étais amoureuse. Quand je portais le costume de l’idiote qui sourit bêtement alors qu’on se fout clairement d’elle. Je ne me trouvais pas assez forte et attirante pour faire subir ça à un homme. Le chien, dont je me foutais, me paraissait un bon exercice pour apprendre à utiliser l’amour des autres.

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Je me suis alors rendue compte de plusieurs choses. Les femmes amoureuses de leur animal n’étaient pas si ridicules et avaient souffert de la même manière que moi pour s’en remettre à ces bêtes. D’autre part, ces bêtes dont je me moquais n’avaient peut-être pas d’ego, mais pas davantage d’attentes. Elles aimaient simplement ce qui les nourrissait, s’occupait d’eux. Comme moi avant. Je me moquais finalement de moi-même. Je devais jouer le rôle de mon bourreau pour comprendre ce qui venait de m’arriver. Ridiculisée. Affublée d’un costume dont je ne voulais pas. J’ai alors regardé Frifrouille et me suis excusée. Auprès de lui. Auprès de moi. Désolée aussi pour ce nom auquel il répondait désormais et que je ne pouvais donc plus changer pour le rendre plus digne… Quand j’ai pleuré, il m’a aimé un peu plus que prévu en venant lécher mes larmes. Ou alors il avait soif… Peu d’attentes. Beaucoup d’amour.

Photos: Jérôme Sussiau

Texte: Anthony Navale

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La fille de la rue.

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Ça y est. Elle repasse. Tous les jours je l’attends. Je reconnais sa silhouette de loin. Par contre, je ne vois son expression que tard. Du coup je ne sais pas si elle me voit déjà. Si elle me sourit. Si je lui fais peur. Alors j’attends qu’elle s’approche. J’essaie d’être discret. Mais il est difficile d’être discret quand on est amoureux. Je souris déjà, bêtement. Je dois me tenir mal. Voûté et nerveux. Aujourd’hui j’ai décidé de lui dire bonjour. De vive voix. Si elle me sourit. Si elle me regarde. Même un peu. Encore quelques pas avant de le savoir.

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Elle sourit ! Je ne sais pas si c’est à cause de moi mais son visage est lumineux ! Peut-être m’a-t-elle vu et en attendant d’arriver à mon niveau elle se donne une contenance en regardant ailleurs ? Elle doit être gênée de marcher vers moi dans cette longue rue. On se sent toujours un peu idiot quand on a aperçu quelqu’un de loin et qu’on doit le rejoindre. Sans rien d’autre à faire qu’avancer, pendant qu’on nous regarde. Elle ne doit pas savoir comment réagir ainsi observée. Mais son sourire ne la quitte pas. Je me racle la gorge pour que ma voix ne soit pas ridicule quand je lui dirai « bonjour ». Dois-je dire « bonjour » ou « salut » ? Je vais rester sur un « bonjour » chaleureux. Une approche sobre et efficace. Encore quelques pas.

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Et merde. Elle souriait à une amie un peu plus loin. Mon « salut » mal assuré lui a fait peur et elle a répondu poliment pleine de méfiance. Dois-je la rattraper pour la rassurer ? Lui avouer mes sentiments? Non. Je ne ferai que l’effrayer davantage. Je vais tenter de la suivre du regard… Elle me regarde encore ! Avec son amie… Elles s’éloignent. Je ne vois plus leurs visages. Je ne sais pas si elles sourient. Si elles se moquent. Si elle repassera demain…

Texte: Anthony Navale

Photos: Monsieur Gac

Les papillons dans le ventre.

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Dîner 1 : Je savais que la conversation serait clairsemée. Je ne me souviens même plus de mon dernier tête à tête. Mes mains sont moites. Je n’ai même pas envie de manger. Ça ne passerait pas. Je cherche quelque chose à raconter mais même le silence est mignon. On sait que ce n’est pas grave s’il ne se passe rien d’autre que l’affection. Cette affection qui s’installe solidement. Malgré nous. Les instants silencieux ne nous gênent pas puisque nous sommes certains que nous nous raconterons tout bientôt. Toujours.

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Dîner 247 : Nous avons passé un cap hier. J’ai pété bruyamment et ça n’a provoqué aucune réaction chez l’autre. Malgré l’aspect naturel de la chose, elles sont peu nombreuses les personnes nous ayant entendu aussi intimement. Ça n’a rien de glorieux pourtant. Je suis même un peu triste. J’aurais aimé qu’on en rit ensemble, qu’on soit gêné ensemble. Et pourtant le cap était passé. Plus de secret. Plus de barrière. Plus de limite. Nous digérons impunément côte à côte. Quoique. Nous le paierons peut être un jour.

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Dîner 860 : Je savais que la conversation serait clairsemée. Annoncer que je m’en vais refroidirait forcément nos échanges. Peu de réactions. Pour une fois nos pensées se tournent vers le même sujet. Enfin je crois. Quand nous étions silencieux, nous pensions à nos obligations ou nos véritables envies. Cette fois, en nous taisant, nous nous disons au revoir. À moins que nos envies ne soient déjà notre nouvelle priorité. Mon ventre me fait mal. J’ai trop mangé et je n’ose plus bouger. Je repense à notre premier dîner. Je ne me souviens plus de ce que nous avions bu. Quelque chose de cher. Peut-être. Depuis nous économisions même sur les boissons. C’était surement notre erreur. Nous faire mal au ventre avec de mauvaises boissons.

Photos: Monsieur Gac

Texte: Anthony Navale

Souvenirs de Nantes.

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Souvenirs de Nantes. Lundi 16h34

Bonjour Adrien,

Je suppose que tu te souviens de moi. Nous avions passé quelques soirées ensemble lors de ton passage à Nantes, il y a plusieurs années. Anthony, de Nantes.

Je t’ai d’abord cherché sur les réseaux sociaux, mais tu dois avoir pris un pseudo comme beaucoup le font. À moins que tu n’y sois pas. Je préfèrerais que tu n’y sois pas plutôt que de ne pas assumer ton nom. Autant jouer le jeu.

Du coup je t’écris par mail, comme à l’époque. L’époque où le mobile n’était pas systématique et ou le mail remplaçait le courrier, on trouvait ça génial d’économiser sur les timbres… J’espère aussi que tu n’as pas changé d’adresse mail, bien que plus personne n’utilise ce serveur. Qui sait ? Tu t’y connectes parfois par hasard, pour voir tes vieux échanges, nos vieux échanges. Si jamais je ne reçois pas de message d’erreur, j’espèrerai que tu le lises, même bien plus tard. C’est un peu une bouteille à la mer que j’envoie là. Une bouteille électronique…

J’ai repensé à toi ce weekend. En aérant ma chambre, le froid et le parfum de l’air m’ont rappelé un de nos matins, ensemble. On avait trainé à sortir du lit et la chambre sentait fort la cigarette. On avait eu le courage d’ouvrir la fenêtre en plein hiver parce que le ciel était très clair. Ça m’a rappelé qu’en une semaine, le temps de ton séjour, nous avions déjà des habitudes. À l’époque je m’en fichais pas mal, mais désormais je réalise que cette relation était parfaite. Nous en connaissions la fin dès le début, s’affranchissant des questions d’avenir, de projets et même de jalousie. J’étais content de me lever prêt de toi, de te sentir encore endormi, de ne pas aller au travail sans en être inquiet. Je ne te l’avais pas dit mais je n’étais pas du tout en vacances à l’époque. Je voulais profiter de cette semaine à fond, avant que tu ne repartes.

J’espère que tu vas bien. Toujours en couple ou à cumuler des semaines différentes à chaque fois. Pour ma part j’ai vécu beaucoup de choses, j’ai tenté de me poser, j’ai continué les amours éphémères, dont tu as été un des pionniers. Je n’étais pas débutant mais certaines relations se retiennent. Tu étais le premier marqueur de ma vie émotionnelle. On les enchaine, les marqueurs, ceux qui restent pour toujours, pour de bonnes ou mauvaises raisons. Ils se distinguent des oubliés, par définition.

Plus je t’écris, plus je me demande pourquoi je le fais. J’ai dû vouloir te rendre réel à nouveau. Je suis devenu quelqu’un qui fait des bilans, pour comprendre sa vie. Et tu es ressorti lors d’un bilan. Tu as été plus important que prévu et je t’en remercie.

Ce message ne sera peut-être pas lu, mais au moins, je t’aurais remercié. Ça doit quand même compter des remerciements écrits et non lus.

Je t’embrasse.

Anthony Navale

Souvenir 2. Mardi 11h47

La bonne nouvelle du jour : je n’ai pas reçu de message d’erreur suite à l’envoi de mon mail précédent ! La mauvaise : tu ne l’as pas lu. Ou pire ! Tu l’as lu et tu n’as pas pris le temps de répondre.

T’envoyer ce message me semblait libérateur, mais ça m’a tout simplement replongé dans cette semaine passée avec toi. Je ne pense qu’à ça. C’était une semaine à proprement parler, une semaine sans son weekend. Tu es parti le samedi matin, donc quelques heures de samedi ça ne compte pas comme un weekend. Et puisque nous ne nous étions vu qu’en fin d’après-midi le lundi, le peu d’heures du samedi compensaient celles manquantes au premier jour.

Ce lundi tu es venu me parler, sur cette gigantesque terrasse nantaise d’où j’hésitais à partir à cause du froid de fin de journée. Mais comme je t’avais repéré, je luttais encore un peu. Gagné. Tu as pris ton verre (un martini dont j’ai immédiatement détesté l’odeur) et tu t’es installé à ma table. Ton sac déjà bien rangé sous ta chaise, tu m’as demandé si tu pouvais te joindre à moi. J’ai répondu « visiblement » et tu n’as même pas relevé mon ironie. Tu as commencé à décrire cette place, m’expliquer que tu ne connaissais pas bien Nantes, que tu étais de passage pour une semaine, qu’il t’avait semblé me reconnaitre alors que finalement je ne te rappelais qu’un visage familier (tu m’étonnes).

Je ne sais pas si aujourd’hui je me laisserais accoster aussi facilement. Je suis devenu trop flippé. Et puis maintenant on reste à sa place, on passe par une application sur son téléphone pour accoster quelqu’un. On trouve toujours un moyen pour s’approcher sans s’approcher. Mais toi tu ne doutais de rien, je n’avais pas peur à l’époque et ces applications n’existaient pas. Sous couvert de jouer au touriste, tu m’as demandé s’il y avait des quartiers sympas à visiter, et évidemment mon quartier était incontournable dans le centre-ville. J’habite là. C’est joli. C’est la porte de mon immeuble. Je peux visiter aussi ? Ok.

Notre première nuit ensemble. Je ne réalise que maintenant que c’est toi qui as tout dirigé. J’ai eu l’impression de beaucoup parler, puisque je m’étais transformé en guide touristique inventant l’histoire de la ville et de ses quartiers, mais je n’en savais pas plus sur toi. Au réveil, j’ignorais même que je te reverrai. Un peu comme maintenant quand je t’écris tout ça. Je ne sais pas si tu le verras.

Anthony

Souvenir 3. Mercredi 16h04

Ça m’amuse d’envoyer notre histoire sur une boite mail qui ne fonctionnera peut-être plus jamais. J’étais convaincu qu’il y avait une équipe de ménage sur internet qui se débarrassait de tout ce qui ne servait à rien, mais elle doit être occupée ailleurs. Notre histoire deviendra le trésor d’une chasse virtuelle, qu’aucune carte ne pourra localiser. J’aurais tout écrit ici et personne, même toi, ne saura où la chercher !

En toute logique, j’en suis à la deuxième nuit de notre semaine ensemble. Le premier matin, tu m’avais laissé ton numéro sur un papier de mon bureau. Je t’en voulais d’avoir utilisé la feuille d’un de mes dessins en cours tout en étant content que tu l’aies fait. Je déchirai proprement le bout de feuille en essayant de ne pas abimer le dessin et rangeai le papier dans mon portefeuille. On n’avait pas encore le réflexe d’enregistrer les numéros dans nos téléphones, on conservait encore des papiers et des photos d’identité sur soi. Ceci dit, je ne crois pas que mon téléphone de l’époque était capable de faire des photos. Je ne sais plus.

Pour le coup, je ne t’avais pas appelé. Mon mardi fut assez banal, je suis allé bosser, on m’a fait remarquer que je n’avais pas l’air d’avoir beaucoup dormi, je luttais pour rester éveillé.

Je suis repassé par la terrasse où je t’avais rencontré en espérant t’apercevoir à la même place, buvant un martini dégueulasse. Encore une fois tu me faisais ressentir de la déception, puisque tu n’y étais pas, et de la satisfaction puisque ce n’était pas un de tes rituels pour draguer. À moins que tu ne sois déjà parti de la terrasse avec quelqu’un d’autre pour visiter la ville…

Je t’accusais injustement puisque tu t’étais posé à une autre terrasse. Celle en bas de chez moi. Un restau minable qui ne sert habituellement pas de boisson sans repas. Mais tu avais dû les convaincre de te faire plaisir, comme tu l’avais fait avec moi. Je n’ai pas posé de questions, ma fatigue s’est envolée, tu m’as suivi et nous sommes retournés directement dans mon appartement.

Le mercredi matin, tu ne te levais pas pour aller à ta formation ou que sais-je. Tu me demandais si je devais aller travailler, et je te mentis que non, que j’étais en vacances. Je devais rester avec toi, puisque tu étais revenu. Comme il nous restait 3 nuits avant ton départ, je me rendais le plus disponible possible.

Le mercredi fut la journée où notre seul contact avec l’extérieur fut le fait d’ouvrir la fenêtre pour aérer la chambre. Le dessin que je n’avais pas terminé et que tu avais toi-même gribouillé avant que je le découpe s’était envolé, glissant derrière mon bureau. Je ne t’ai pas répondu quand tu m’as demandé pourquoi je souriais. Ce dessin était voué à ne jamais être achevé.

Anthony

Sans objet. Vendredi 01h37

Je sors de soirée. Je viens de vérifier pour la 13ème fois si tu m’avais répondu. Je fais le malin, je prétends que je me fous que tu répondes ou non mais ça me fait chier. Ça me fait chier de repenser à cette semaine alors que tu l’as certainement oubliée. Ça me fait chier d’avoir repensé à ta vieille adresse mail alors que je pourrais te contacter autrement. Je me suis mis à penser à toi sans raison et maintenant ça m’obsède. Je voyais cette semaine ensemble comme un petit souvenir mais maintenant j’ai l’impression de la revivre en temps réel. C’est putain de long une semaine en temps réel ! Je m’excite tout seul, bourré, et toi tu t’en fous.

Souvenir 4 ou 5. Vendredi 15h20

Il me semblait bien t’avoir écrit hier soir. Je ne savais plus si je l’avais rêvé ou non. J’en tenais une bonne. Désolé pour ce mail alcoolisé. Quand on y pense, c’est amusant : peu importe le moyen de communication, on arrive toujours à l’utiliser, même bourré. Si j’avais eu ton numéro je t’aurais laissé un message, s’il avait fallu faire des signaux de fumée je l’aurais fait sans me bruler malgré mon état. Je n’avais que ton vieux mail, alors je t’ai écrit un mail. L’alcool nous fait perdre notre dignité mais pas le sens pratique. L’inverse aurait été préférable.

Quoiqu’il en soit tu te doutes que je me retrouve dans une situation inédite. Je pense à toi. Bien plus que je ne le souhaiterais.

Et je bois toujours un peu trop. Déjà le jeudi de ton séjour tu t’en étais rendu compte. Tu avais un pot de départ avec les gens de ton stage ou de ta formation, je ne sais plus. Le jeudi matin tu m’avais annoncé que nous ne nous verrions pas à cause de ça. J’avais laissé tomber mon travail cette semaine-là et toi tu honorais un diner ridicule avec des gens dont tu te contrefoutais ! Bon d’accord, tu ne découvres que maintenant que j’avais séché le boulot, mais le principe est le même, il ne nous restait que deux nuits et tu en supprimais une. Du coup je suis sorti et j’ai bu. Je n’avais simplement pas prévu que tu reviennes après ton diner. Toi non plus à mon avis. Mais c’était plus fort que toi il faut croire. On s’est engueulé ce soir-là comme s’engueulent les vieux couples. Je n’étais pas le seul à avoir bu, tu avais trouvé un moyen pour supporter ton diner. Tu m’avais répété que je n’avais pas à m’attacher à toi, que de toute façon tu partirais et que ma réaction était ridicule, celle d’un enfant. Mais j’étais un enfant. J’avais le droit de vote mais j’étais incapable de me gérer. Sentimentalement tu étais ma première relation. Et surtout, si ce n’était pas important pour toi, avec le recul, je me rends compte que tu n’aurais pas réagi comme ça. Désormais quand quelque chose m’indiffère, je ne réagis pas. Tu me reprochais ce que tu ressentais. Tu étais revenu le jeudi soir parce tu savais qu’une nuit de plus ne se refusait pas. Même si on s’est engueulé, tu es resté. Nous nous étions permis cette dispute parce que nous savions qu’il resterait une dernière nuit après celle-ci. La nuit du vendredi. Que je te raconterai demain.

Anthony

Souvenir 6. Samedi 10h02

Cette dernière nuit fut décevante. Désolé de te le dire comme ça mais sincèrement, j’ai trouvé ça nul. On a joué la sécurité. J’espérais un bouquet final, j’espérais de la surprise, j’espérais que tu restes. Mais non, j’ai juste eu droit à un best of. C’était déjà bien, mais réussir à choper des habitudes en une semaine, il faut le faire.

J’avais passé ma journée à redouter cette nuit et le lendemain matin, mais une fois que nous y étions ça me semblait beaucoup plus simple. J’étais reposé de cette semaine de congés improvisée. Je ne m’inquiétais pas quant à notre avenir puisque tu m’avais dit que nous échangerions assez souvent, c’est d’ailleurs le vendredi soir, avant de dormir que tu m’as noté ton adresse mail, cette adresse mail périmée sur un bout de papier (aucun dessin détruit cette fois ci, ne t’en fais pas). Tu préférais prendre le temps d’écrire des mails plutôt que d’envoyer des messages ou de parler au téléphone. Je n’ai compris qu’après pourquoi.

Tu es parti un peu vite, je t’avais mis en retard. La suite tu la connais, tu l’as peut-être même encore dans l’historique de nos échanges. Les bons souvenirs, les banalités, les informations évasives, puis ton mariage. En soit tu menais la vie que tu voulais, je n’avais pas à juger.

Tu m’avais posé des tonnes de questions sur ma famille, sur mon départ, pourquoi ils m’avaient rejeté, pourquoi je n’avais pas lutté. Je suis toujours sans nouvelles d’eux, je me gère un peu mieux. Pendant un moment j’ai voulu reprendre contact avec eux. Savoir si le temps nous aurait tous apaisé. Mais finalement je possède suffisamment d’informations pour savoir que je n’arriverai pas à les côtoyer. Et c’est aussi un peu de ta faute.

Merci pour cette semaine passée ensemble. Je ne l’oublierai jamais. Visiblement.

Si jamais vous êtes toujours mariés, embrasse ma sœur.

Texte: Anthony Navale

Projet: http://www.laconstellationdadrien.fr/

Ça ira puisqu’il fait beau.

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Tu profitais d’une balade pour me quitter. Un lieu clos nous aurait contraints à briser quelque chose ou à écourter les arguments pour en sortir au plus vite. La promenade nous permettait des pauses dans l’échange, de respirer correctement, de se donner une contenance pour se remettre d’une critique en regardant au loin. Et tes reproches nous promettaient une balade longue et pénible. Tu avais une liste, préparée depuis longtemps, à me débiter. Preuve que tu avais déjà prévu notre déclin pour commencer à en récolter les indices. Tu m’assommais pour avoir raison. Mais le ciel ce soir-là, me donnait encore plus de force. En t’écoutant je le regardais, et je t’aurais quitté si tu ne l’avais pas fait. Tu n’as jamais apprécié le spectacle qui s’offrait à nous lors de cette rupture.

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C’est ressorti dans ta litanie, mon côté rêveur. Je riais trop, je m’échappais trop, je chantais trop. L’ironie dans tout ça est que tu étais un artiste, élitiste, esthète qui se voulait garant de la beauté universelle. À aucun moment tu n’as vu le ciel se teinter d’orange et de violet. À aucun moment tu n’as vu la nature t’offrir davantage que cette science-fiction qui te passionne. Tu t’écoutais comme toujours. Le principal reproche ne me concernait finalement pas, puisqu’en somme j’avais simplement échoué à endosser le rôle que tu m’avais choisis. J’avais pris l’habitude de t’entendre sans t’écouter. Ne t’arrêtant jamais de parler, je savais quand je devais réagir pour te donner l’impression de te comprendre. Mais je n’avais plus à t’écouter, à quoi bon te laisser m’enterrer après m’avoir tué. Ça ne me concernait plus.

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Je t’ai laissé partir. Tu restais perplexe devant mon absence de réaction. Je sentais venir une prise de conscience de ta part. Tu allais gâcher notre rupture en cherchant à lui associer les couleurs qui nous entouraient « malgré la gravité de ce qu’on vit, tu ne trouves pas que même pour la fin, c’est sublime ? ». Ta gueule. C’est plus simple que ça. Tu t’écoutes, tu te mets en scène mais tu ne ressens rien. Je suis resté seul à contempler ces couleurs, qui ne s’adressaient à personne. On rêve d’ailleurs, de tropiques, d’astres inaccessibles mais nous sommes comme toi, des nombrils bruyants, incapables de réaliser qu’il y a de la beauté partout et qu’il ne suffit pas d’en parler pour la faire exister. Il faut ressentir. Si tu ne m’avais pas quitté ce soir-là, je l’aurais fait.

Photos: Monsieur Gac

Texte: Anthony Navale

Les objets sont morts.

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Je n’aurais jamais imaginé en arriver là. Plutôt collectionneuse, j’aimais l’ordre, la propreté, la cohérence et l’accumulation. À choisir entre une édition limitée et une édition classique j’optais pour la rareté. Je ne me contentais pas d’aimer un film au cinéma, je devais le posséder ensuite, même si le coffret collector restait sous blister, rangé par ordre alphabétique, sans jamais le revoir. Les vêtements eux s’empilaient en dégradé de couleurs, rendant impossible l’achat de doublon, pour garder l’harmonie de la pile. Le réfrigérateur illustrait cet ordre, j’étais un peu gênée quand un emballage annonçait une nouveauté dans la recette ou un pourcentage gratuit changeant ainsi son aspect original. Ce besoin de possession n’était pas démesuré, j’étais une consommatrice aisée. L’important était que ce soit propre, joli, et que ça représente ma culture, mes goûts et mes connaissances. Il n’aura fallu que deux événements pour que tout cela n’ait plus la moindre importance.

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Il est parti en vidant l’appartement. Je ne l’aimais plus et cherchais à en parler avec lui, mais lui m’aimait toujours, c’est pourquoi le dialogue ne l’intéressait pas. Alors que j’étais chez une amie pour me reposer un weekend, la cohabitation en temps de rupture étant invivable, il avait vidé l’appartement et était parti. Mes collections, l’ordre, les investissements, tout avait disparu. Ne me restaient que quelques vêtements. J’ai repris timidement ma collection, les habitudes sont tenaces, mais une sélection plus fine avait lieu. Je commençais à me demander si j’allais ou non voir à nouveau ce film, s’il m’avait plu au point de le posséder ou si je pouvais simplement en garder un bon souvenir. J’apprenais à faire confiance à ma mémoire pour le stockage. Les choses avaient moins d’importance. Puis un cambriolage quelques années plus tard a fini d’achever mon matérialisme. À nouveau dépouillée, je me suis rendue compte que le plus important était en moi, et qu’il serait difficile de m’en priver.

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On pourrait croire que je manque de chance en vivant dans la rue avec le strict minimum. Même si une rupture, un cambriolage et un licenciement se sont succédé, je me sens plus légère. Littéralement. Le livre que je découvrirai pourra être corné, je n’y ferai plus attention. Mes vêtements n’auront désormais comme objectif de n’être que propres, et non colorés. Un objet pourra avoir plusieurs fonctions plutôt que de se consacrer à une action unique (quand je repense au découpe-légumes cubique…). Il est plaisant de ne plus s’inquiéter de l’ordre, de ne plus forcément exiger l’harmonie des couleurs. Je m’émerveille de la simplicité des choses qui m’entourent puisque, globalement, c’est toujours moi qui les choisis. Je ne sais pas comment sont nés tous ces désirs futiles et ce besoin d’accumuler. Désormais je voyage léger et souvent.

Photos: Monsieur Gac

Texte: Anthony Navale

Le parfum de son fantôme.

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Je m’attends à le voir apparaître n’importe où, quand je m’ennuie. J’espère qu’il se précipitera dans le métro au moment où les portes se referment, je souhaite que la place libre à côté de moi au cinéma lui soit réservée par le hasard, qu’il s’y assoit avant de se rendre compte que je suis son voisin et qu’il soit trop tard pour se relever et partir. Dès que mon esprit se libère, lui s’y installe. Il me manque terriblement. On met parfois du temps à reconnaître nos proches quand on les croise par hasard dans un lieu où nous n’avons pas l’habitude de les côtoyer, mais lui, je le vois partout désormais.

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Je sursaute parfois, quand une silhouette s’apparente à la sienne, ou quand le même manteau que le sien s’éloigne de moi. Parfois je m’interromps, brusquement, en pleine conversation. Je ne retrouverai la parole que si je suis certain que la personne qui vient d’entrer dans le bar n’est pas lui. Dans ces moments de doute, mes interlocuteurs sont forcément mal à l’aise, puisque mon attitude est communicative. En hiver, c’est d’autant plus difficile. Sa silhouette banale est imitée par la majorité de la population, j’assiste alors à un kaléidoscope de lui, tout le monde joue à lui ressembler, m’empêchant de le retrouver vraiment dans la foule. Parce que je pourrais le retrouver, puisqu’il ne nous a pas quittés, il m’a simplement quitté, moi.

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Quand je le vois vraiment, c’est souvent quand je ne le cherche pas. Les fois où il est entré dans mon champ de vision alors que j’espérais le croiser sont tellement irréelles, que je n’arrive plus à savoir si je les ai inventées, ou si elles se sont vraiment produites. Les autres fois, mon regard se pose sur lui comme sur n’importe qui, je ne le reconnais pas au début, lui fait certainement déjà semblant de ne pas m’avoir vu. Le voir en vrai est toujours décevant, mon fantasme et son souvenir sont tellement plus forts, plus intenses, que sa véritable apparence. Je dois toujours le regarder trop longtemps quand ça arrive, je regarde toujours les choses trop longtemps, me croyant discret alors que je ressemble à un idiot qui ne saisit pas ce qu’il observe. Quand je le fixe, il s’éloigne, en continuant de m’ignorer. Alors, je ne cours pas après, je me rends juste à l’endroit où il se tenait, espérant récupérer son parfum qui s’y serait attardé. Son parfum, lui, est identique à mon souvenir.

Photos: Monsieur Gac

Texte: Anthony Navale