J’avais réussi ma tarte. N’importe quoi. Depuis des années, je ne réussis jamais cette tarte. Mais son goût cramé et sa crème mal dosée étaient devenus mes standards de qualité. Et ce jour-là j’avais précisément envie de ce goût particulier. Mais il a fallu que je la réussisse pour la première fois de ma vie ! J’étais tellement contrarié que je l’ai jetée. Et je suis sorti pour me calmer.
Le chemin que je prends pour retrouver mon banc était impraticable à cause d’une inondation. Merveilleux. Cette journée continuait de me contrarier. Comment une inondation pouvait-elle avoir eu lieu alors qu’il faisait un temps radieux ? Je suis resté quelque temps devant cette nouvelle mare, espérant qu’elle disparaisse par magie avant de me résigner à prendre un autre chemin. Faire un détour, le ventre vide et de mauvaise humeur, n’annonçait rien de bon pour la suite de ma journée.
Quand rien ne va, on se met à focaliser sur ce qui ne va pas. On devient plus observateur. Une mauvaise nouvelle définit assez rapidement une journée, même si une bonne nouvelle se présente, la mauvaise sera plus forte. Si je gagne à la loterie, mais que dans la foulée je casse un carreau, ma première remarque sera « mon gain diminue déjà en devant remplacer ce carreau ». Et sur ce nouveau chemin, rien ne me convenait. Tout allait de travers. Dans mon observation minutieuse j’ai même vu une branche coincée dans une toile d’araignée. Ridicule. Non seulement le piège à insecte allait être bien moins efficace, mais surtout, l’araignée n’allait pas se rassasier de ce bout de bois. Au moins nous serions deux à ne pas manger à notre faim ce jour-là.
Le banc était occupé. J’étais épuisé par cette marche inédite, et je commençais enfin à lâcher prise sur ma mauvaise humeur quand je l’ai vue. La journée continuait de me contrarier. Elle était amusée par mon agacement et m’expliquât qu’il y avait de la place pour deux. Je m’assis à contre cœur en espérant qu’elle me laisse tranquille rapidement. Mais, comble de l’agacement, elle était gentille. Je n’avais parlé à personne depuis longtemps, donc j’étais maladroit, mais ça a dû la toucher. Elle semblait penser que nous serions complémentaires. Elle aussi était seule, et se sentait la force de maitriser un vieux râleur comme moi. Cette pensée m’agaça tellement, que je l’ai poussée du banc.
Photos: Monsieur Gac
Texte: Anthony Navale