Un peu de sérieux!

Pourquoi regardes-tu la lune?

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Désormais, je me rappelle du jour en pleine nuit. Je ne peux supporter la lumière qu’en pleine nuit, et déjà là mes yeux commencent à me faire mal. Mais je suis content, car depuis qu’on m’a diagnostiqué cette hypersensibilité rétinienne, j’avais peur de ne plus pouvoir vivre et voir le jour. La lune s’est substituée au soleil, et je peux continuer à profiter de ce que j’ai toujours connu. Souvent je m’imposais des choix absurdes par le passé « qu’est-ce que tu changerais sur ton corps ? », « dans quelle saison pourrais-tu vivre éternellement ? », « quel sens préfèrerais-tu perdre ? ». À cette dernière question la majorité répondent « le goût ». Ça reste le moins handicapant, je ne connais même pas le mot pour désigner quelqu’un qui n’a pas de goût. Et finalement je me retrouve à perdre la vue. Je n’aurais jamais cru que ça passe par un trop plein de lumière, j’aurais imaginé l’inverse. Un trop plein d’obscurité. Comme quoi les questions qu’on s’impose ne servent à rien…

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Dans un premier temps, je voyais la lune de plus en plus grande. Et elle commençait à me donner la même sensation que lorsqu’on regarde trop longtemps le soleil. On en est incapable. Je devenais donc incapable de regarder la lune. J’ai tout d’abord trouvé ça injuste. Puis dans ma solitude nocturne, j’ai commencé à penser à notre corps et à sa complexité. En regardant le ciel, on parvient difficilement à se détacher de son quotidien, mais si on pousse un peu plus loin que le ciel, on comprend qu’on dépend de trop de paramètres. La bonne distance vis-à-vis du soleil pour créer de l’eau dans une atmosphère qui la retient, et la vie a créé des êtres capables de cicatriser. Dans la plupart des cas. Finalement je me suis dit qu’une hypersensibilité rétinienne n’était rien comparée à tous les dysfonctionnements que mon corps aurait pu m’imposer. Je devais juste vivre la nuit. Et celle-ci commence à me manquer.

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Je pensais être privé de jour, mais puisque la lune est devenue soleil, je me rends compte que c’est de la nuit dont je serai à tout jamais privé. Je peux me retrouver dans le noir évidemment, je suis même obligé de me retrouver dans une pièce totalement étanche de lumière pour pouvoir me reposer. Mais l’absence de lumière n’est pas la nuit. Et en focalisant sur ce que je perdais potentiellement, je n’ai pas vu ce que je perdais vraiment. Je perds mes yeux, et la nuit.

Photos: Monsieur Gac

Texte: Anthony Navale

L’addition pour la 15!

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« C’est toi qui as peur de la solitude! » ai-je répondu à cette personne qui me disait qu’elle trouvait triste les gens qui mangeaient seuls au restaurant. Mais j’ai bien vu que ça dérangeait pas mal de monde cette habitude que j’avais prise. On me remarque. Seule au fond de ce restaurant tous les jours. La dernière fois, j’ai surpris la serveuse dire à la nouvelle qu’elle formait « elle, elle vient tous les jours, toute seule ». Et elle ne lui a même pas parlé du couple qui vient à la même fréquence que moi, ni même de ces trois collègues qui commandent toujours la même chose ! Non ! Elle n’a mentionné que moi. Parce que ça doit les gêner. J’imagine. Pourtant je n’ai rien d’excentrique, ni dans mes tenues, ni dans mes menus. Je suis juste une femme qui déteste faire à manger.

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Quelle honte devrais-je avoir de venir seule dans un restaurant? Ces derniers sont aussi utiles que les hôpitaux puisque les jours fériés, c’est bien les transports, les hôpitaux et les restaurants qui restent ouverts! Ils sont d’utilité public! Alors pourquoi une personne, une femme de surcroît, seule dans un restaurant semble aussi louche ou pathétique? Ces lieux sont-ils réservés aux seuls couples désireux de montrer leur amour en public, ou aux groupes d’amis soucieux d’ennuyer les tables voisines de leur bruit? En quoi exposer ma solitude quand je me nourris est-il plus grave que les exemples sus-nommés?!

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Afin de déstabiliser la serveuse qui me présente comme la dernière des ratées à ses collègues, j’ai décidé d’en ramener une des miennes, de collègues. L’effet était immédiat! La serveuse me dévisageait et, surtout, voyait que ma collègue ne présentait aucun signe flagrant de folie et qu’elle semblait même m’apprécier. J’étais fière de mon stratagème. Tu me prenais pour une folle? Tu me voyais sans travail, sans amis, sans rien que de l’argent à gaspiller dans ton restaurant, toute seule? Et bien non! Ceci dit, j’avais oublié un détail important dans ma combine. Ma collègue. Elle a parlé pendant tout le repas de choses aussi intéressantes que ses problèmes de transport le matin et de ses dossiers qui l’attendaient au retour de sa pause. Je ne l’ai plus jamais invitée. Je déteste qu’on parle en mangeant.

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Je viens désormais à 11h30 quand il n’y a personne. Comme ça, je n’ai pas à supporter le bruit des autres clients du restaurant, et les propositions de mes collègues qui souhaitent désormais manger avec moi. 11h30, c’est mon heure! Même la serveuse semble différente à ce moment là. La tension du service qui l’attend n’est pas encore là. Ca ne l’empêche pas de me juger, depuis que je viens plus tôt que tout le monde. C’est fascinant de voir à quel point un horaire détermine le rythme des gens. A 11H30, il est inconcevable pour la plupart d’aller manger, même à 11H59 ça ne sonne pas juste. Alors que 12H, c’est autorisé, c’est correct. Mais enfin, si on prend le problème différemment, il faudrait envisager le temps passer entre les repas, et pas l’heure qu’il est, pour savoir à quelle heure notre corps peut se nourrir. Une demi heure n’y changerait rien! Mais je dois être la seule à me poser autant de questions, puisque les autres en sont encore à se demander pourquoi une femme mange seule à 11H30 dans un restaurant.

Photos: Monsieur Gac

Texte: Anthony Navale

Dans le tourbillon de la nuit.

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Quand les lumières ralentissent, je sais que tout ça va s’arrêter. Il y a toujours ce flottement de bien -être intense, avant qu’elles ne s’arrêtent de tourner. J’ai beaucoup bu et je me sens léger. Je ne pense à rien d’autre qu’à ces lumières qui semblent ralentir pour moi. Les autres continuent de danser, mais moi je les regarde, je suis dans un film en slow motion. Les lumières, les gens, tout est lent. Le son aussi s’assourdit. Et je me sens bien, même si je sais que tout va s’arrêter.

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La réalité revient d’abord avec une autre lumière. Statique. Il fait jour dehors. Déjà. Ma nuit se fera de jour. Ma journée sera faite de sommeil. Ma journée sera perdue. Toute l’humeur de la nuit est dissipée par la lumière. Je ne suis plus insouciant. Je dois rentrer et affronter cette autre lumière.

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La vie ne m’a pas attendu pour continuer son cours. Les gens qui ont bien dormi s’affairent déjà dans les rues. Certains prennent le temps de me juger rapidement, mais je ne les vois plus. J’ai l’habitude. Ils pensent que ceux qui ne dorment pas comme eux ne méritent tout simplement pas de faire partie de leur société. Et je dois le penser aussi, ou du moins y faire attention, sinon je me sentirais pas si minable et si fatigué. En fait tout irait bien si je ne faisais pas attention à eux. Mais je n’y arrive pas.

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Ils m’ont pris au piège. Très tôt. Avec cette morale, avec ce qui est bien et mal. Une façon de penser binaire pour que tout le monde comprenne bien le principe. La nuance c’est trop compliqué. Et je reste comme un idiot dans ce piège. Je goûte chaque nuit à ce qui me plaît profondément, et le jour je m’inflige ce châtiment, leur jugement. Mais j’ai arrêté de lutter, puisque je ne sais plus comment tout cela a commencé. Ai-je aimé la nuit pour fuir leur réalité du jour, ou ai-je aimé la nuit parce que c’est ma réalité ? Finalement les nuits n’auraient plus le même goût si je me mettais à aimer le jour.

Photos: Grégory Stephan

Texte: Anthony Navale

Une philosophie de la beauté.

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«La véritable beauté est innée. C’est une beauté universelle: des traits fins sur un visage symétrique pour une personne sans maquillage voire sans coiffure. Rasez la tête d’une belle personne et elle restera belle, malgré l’image que nous avons des cheveux rasés. Car là encore l’image n’est pas réelle. Elle est suggérée. La beauté non. La beauté provoque une émotion en chacun de nous. Nous nous entendons tous à dire d’une personne belle qu’elle l’est. Certains se fourvoient en pensant avoir des goûts bien précis et ne pas trouver la beauté là où tout le monde la voit. Ils confondent Beauté et Goût. Ce qui est beau n’est pas à leur goût, soit, mais cela reste beau. D’autre confondent encore Beauté et Désir. Ceux là sont encore plus dangereux que les goûteux puisqu’ils placent leur désir avant leur capacité de jugement. Leur désir est le prolongement actif de leurs goûts reléguant ainsi la Beauté sur un second plan. Voire pire. »

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« L’Elégance, elle, est acquise. On ne nait pas élégant, on le devient. Là les images, les codes et l’éducation entrent clairement en jeu. L’insolence de la Beauté pourra porter sur son caractère rebelle ou parfois méchant. L’apprivoiser avec l’Elégance relève du défi. Celle ci se compose de manières, de principes et d’attitudes. Il ne suffit pas d’avoir une garde robe fournie pour être élégant. Il ne suffit pas d’être courtois non plus. C’est un mode de vie rigoureux, qui prend soin de soi et des autres. Il inspire le respect puisque les autres connaissent et subissent les mêmes règles! L’élégance passe fondamentalement par le respect. L’élégant sera la personne la plus respectueuse qui soit, en toute circonstance. »

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« La Beauté et l’Elégance ne meurent jamais. Elles s’aident et se complètent avec le temps. Elles subsistent dans les mémoires. Nous en reviendrons aux fondamentaux. Nous nous débarrasserons du superficiel et des dictats. Puisqu’au final, seules la Beauté et l’Elégance ne meurent jamais.»

Photos proposées par: Thierry Cambon

Texte: Anthony Navale