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Métaphysique champêtre.

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Depuis que nous vivons ici, je me sens mourir un peu plus. La vie à la campagne a ce charme de vous rendre une liberté et l’espace perdus en ville, pour ensuite finir de vous achever, dans un cadre plus confortable. À mon arrivée c’était forcément plaisant tout cet espace, mais j’étais déjà résigné à ne plus beaucoup me déplacer. Donc un peu plus ou un peu moins. Et puis, il fait toujours trop chaud ici.

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Il n’y a bien qu’elle que ça ne dérange pas. Toujours affalée au soleil depuis notre emménagement. Elle doit certainement vouloir réduire l’écart de nos espérances de vie en s’exposant ainsi. Elle sait que les hommes vivent moins longtemps que les femmes, alors elle crame la distance. Littéralement.

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Cache-cache. Ce jardin est tellement grand qu’il m’arrive de m’y perdre. « Cache-cache »… En quoi le fait de répéter deux fois un mot le transforme-t-il en jeu ? On pourrait simplement « jouer à se cacher ». On n’a pas donné un autre mot pour parler d’un « porte manteau » ou d’une « pince à linge ». C’est nommé par sa fonction. C’est simple. « Cache-cache » n’est que l’illustration de l’imagination des enfants. Qui se permettent tout. Ils agissent comme des adultes alcoolisés mais ça ne choque personne. Il me semble n’avoir jamais agi de la sorte. Mon enfance est trop lointaine. Enfin je crois.

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Mes meurtres eux sont restés secrets. J’ai réussi à lui cacher ce penchant sordide, tout en exploitant les capacités de ce jardin. « Cache-cache » je vous disais. Le calme de la campagne est favorable à cette activité. Certains dorment au soleil, d’autres dorment encore plus profondément sous la terre chauffée par le soleil. Je n’ai fait que les décaler un peu plus vers le bas en somme. Mais je ne m’en prendrais jamais à elle. Trop attaché.

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Il n’y a bien qu’ici que je suis au calme, au frais. Je ne fuis cet endroit que lorsqu’il y a des invités qui décident de faire un jeu pour se remettre du soleil qu’ils se sont infligés la journée. Je ne joue jamais avec eux, de toute façon on ne me propose jamais de jouer.

Sûrement un des avantages d’être un chat.

Photos: Monsieur Gac

Texte: Anthony Navale

Laissez-moi vous regarder.

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J’ai toujours été perplexe concernant Paris. Je ne supporte plus les gens dans ses rues. Je ne supporte plus l’odeur de certains quartiers, ni les habitants que je croise. Pourtant j’ai toujours voulu y vivre. J’ai toujours voulu en faire partie, de ces rues, de ces gens, et peut être de ces odeurs… Lorsque j’ai découvert cette trappe sur mon palier, je me suis rappelé pourquoi j’avais aimé Paris. Quand on l’observe depuis un toit, on l’apprécie sans subir ses parasites grouillants. C’est beau, c’est inégal, et c’est unique.

C’est aussi cette trappe qui m’a mené à lui.

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La première fois qu’il m’a rejoint sur le toit, j’étais vexé. Pourquoi faut-il que les bonnes adresses soient prises d’assaut dès qu’on a le malheur de les découvrir ? D’autant que je n’en avais parlé à personne. Il est monté tout naturellement. S’est dirigé vers moi en plaisantant « excusez-moi, vous n’auriez pas une cigarette ? »

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J’observais Paris depuis des semaines pendant que lui m’observait. Il était amusé de me voir tirer la gueule « en bas » et être serein ici. Je lui expliquais qu’il était correct, voire obligatoire d’être un zombie dans le métro, mais que chez soi, chaque parisien redevenait certainement humain. Ma vision de notre ville l’amusait. Il venait d’arriver, son accent le trahissait. Il y croyait encore. Pour lui, il suffisait d’oser. Oser parler aux inconnus, oser sourire « en bas », oser traverser la rue pour pénétrer dans l’immeuble d’en face et monter au dernier étage en espérant que l’accès vers le toit ne soit pas privatif, pour finalement oser demander une cigarette à quelqu’un qu’on observait. Il a eu raison.

Désormais, quand il pleut, il ne monte que chez moi.

Photos: Jérôme Sussiau

Texte: Anthony Navale

 

Nous n’étions pas enclins à vivre ensemble.

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De par notre éducation commune, nous n’aurions jamais dû en arriver là. J’ai toujours cultivé ma différence. Pour moi avant tout. Je rêvais de légèreté, que tout soit simple. J’ai choisi le BLEU pour ça. Pour que tout soit plus léger. Aucune provocation. Juste un message simple. Mon message n’était pas clair. Du moins, les autres n’étaient pas prêts pour ça. 

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Je ne sais pas pourquoi il a eu cette idée. Je ne comprends jamais ses idées. Il savait parfaitement qu’il nous provoquait, sous ses airs de ne pas y toucher. Je l’ai pris pour moi tout d’abord, on m’a toujours donné le rôle du second. Second, pourquoi pas ? Mais second après lui je ne peux plus… C’est pourquoi en réponse directe à son BLEU ridiculement léger, j’ai tranché pour le ROUGE. Il devait voir que je ne serais jamais comme lui ! Le ROUGE lui déclarait la guerre ! Il a pourtant trouvé le moyen de me faire un compliment ! Comme s’il se foutait totalement de la situation dans laquelle nous étions ! Il voulait avoir un coup d’avance encore une fois. Je le défiais, et il prétendait qu’il était déjà au-dessus de cette défiance ! Je vomis cette fausse sérénité, je vomis son BLEU, je le vomis lui. Et mon ROUGE ne laissera plus aucune trace de tout ça, il brûlera le dégoût, son dédain, ma défiance, rien ne survivra ! 

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Je fonctionne toujours par tradition. Par tradition le ORANGE était acceptable. Par tradition le ORANGE était notre origine commune, nous avions été conçus de cette façon. Par tradition nous devions nous voir, tous les ans, pour le même dîner. La tradition était parfaitement respectée, jusqu’au jour où un de nous a fait le choix de rompre avec le ORANGE. Ça m’a tout d’abord surpris, et puis je me suis dit que la tradition du dîner ne reposait pas que sur le ORANGE. Ce n’était qu’un élément de notre tradition. Lorsque le ROUGE fut introduit, là j’ai mis plus de temps à m’en remettre. Pourquoi vouloir apporter tant de nouveaux éléments à notre rendez-vous ? Depuis toujours nous étions trois ORANGEs. Et maintenant je me portais seul garant de la tradition. Je devais être fort pour ne pas céder et maintenir ce qui nous a toujours unis. Alors cette année j’ai décidé de ne pas changer comme les autres l’avaient fait. Cette année, comme toutes les autres, passées et à venir, je resterai ORANGE. 

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Nous ne communiquions plus. Ce dîner fut plus court que les autres. Nous ne le savions pas mais ce dîner n’avait plus de sens. Le dernier toast fut un au revoir. C’est aux adieux que nous levions notre verre.

Photos: Monsieur Gac

Texte: Anthony Navale