Parfois c’est vrai

Le génie civil et la connerie ordinaire.

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J’imagine que nous avons dépassé le stade de la sélection naturelle. En ville, nous jouissons majoritairement d’un confort propice à la survie. Les intempéries sont maitrisées, les animaux sauvages ne sont plus une menace et même un idiot retrouve son chemin sans encombre. A une autre époque, on mourrait à la moindre inadvertance. Alors certes on peut se faire renverser d’avoir trop regardé son téléphone, et certains idiots croient encore qu’escalader une gouttière instable pourra amuser leurs amis, mais que voulez-vous ? La sélection naturelle s’en est gardé quelques-uns, même si elle semble à la retraite.

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Je pense que c’est ce qui m’agace le plus. Nous n’avons plus conscience de cette chance. Nous n’avons plus conscience que des génies ordinaires ont permis à des idiots de vivre en sécurité. Et par idiots je ne désigne pas ceux qui traversent les voies à la dernière minute en se croyant invincibles, je parle aussi des autres, dont je fais partie. Il est colossal le travail qui nous entoure. Des générations se sont succédé pour nous tracer des routes, de plus en plus lisses, nous creuser des tunnels, de plus en plus stables, nous offrir des véhicules de plus en plus rapides. Les idiots eux, sont toujours aussi lents. Surtout quand ils traversent les voies.

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Je m’arrête donc souvent devant cet immeuble. Sa forme et ses couleurs sont suffisamment surprenantes pour que même un idiot se rende compte qu’il n’a pas dû être simple de le construire. Et c’est particulièrement pour cela que je l’aime. Il nous rappelle que tout ce que nous utilisons aujourd’hui a été novateur avant de tomber dans l’usuel anonyme. Tout ce qui nous entoure a nécessité un effort, du travail. J’aime cet immeuble pour cet effort de mémoire auquel il nous pousse. Cela ne m’empêche pas d’être pessimiste le concernant. Non pas parce qu’il tombera dans la banalité comme tout le reste, mais parce qu’un jour, un idiot décidera de l’escalader à mains nues, et la sélection naturelle se rappellera à notre bon souvenir.

Photos: Monsieur Gac
Texte: Anthony Navale

Le voisin étrange.

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« Ne l’approchez surtout pas ! » Ses mises en garde ne s’accompagnaient jamais d’explication. Elle se contentait de nous effrayer à travers un ordre irrévocable. Ce voisin terrorisait ma mère, mais nous ne comprenions pas pourquoi. Ce n’était d’ailleurs pas de la terreur qu’elle éprouvait, mais plutôt du mépris. Son mépris n’étant pas communicatif, elle employait alors la terreur pour nous éloigner de ce voisin. C’est tellement plus simple de faire peur à un enfant que de lui expliquer nos raisons. Qu’elles étaient d’ailleurs les siennes ? Je décidai de l’espionner lors d’un de ces regroupements entres voisines bien-pensantes. Attroupées comme des poules, elles partageaient leur aversion pour ce personnage. C’était, selon elles, un pervers. Un danger pour le quartier, et pour les enfants. En quoi pouvait-il être dangereux ? C’était plutôt nous qui semblions dangereux si on en croyait ses réactions. À chaque fois qu’il voyait un enfant, il s’en allait, comme terrifié.

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Il avait un secret, et nous en étions certains. Sa tenue nous amusait, forcément. Mais il l’assumait tellement, que nous voyions au-delà du costume. Son accoutrement n’était pas si important. Il détournait notre attention pour qu’on ne s’intéresse pas à son secret. Alors les enfants du quartier décidèrent d’enquêter sur ce voisin mystérieux, bravant l’interdit des poules. Les plus audacieux arrivaient à avoir de vraies informations en s’infiltrant dans son jardin, pendant que les plus couards continuaient d’entretenir sa légende terrifiante avec des mensonges. Seule sa solitude était certaine. Personne ne venait le voir, si ce n’était notre espionnage récurrent. Les préoccupations des enfants sont bien différentes de celles des adultes et nous étions plus intéressés par ses habitudes culinaires ou ses heures de sortie que par ses situations sociale ou professionnelle. Il n’avait rien de dangereux, il s’habillait simplement différemment.

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Quand ils sont venus le chercher, nos mères étaient bouleversées. Les mères d’un quartier réagissent toujours à l’unisson, aussi bien dans les interdictions transmises aux gamins que dans leurs émotions. Le « pervers » était devenu en l’espace d’un instant un « pauvre homme qui avait eu une vie minable ». Elles ne savaient rien de lui et osaient porter un nouveau jugement alors qu’il venait de nous quitter. Je n’avais d’ailleurs pas compris qu’il était mort. Pour moi, une voiture plus longue que les autres était simplement une voiture plus longue que les autres. Une fois le principe du corbillard enseigné, j’étais pris de regrets. La voiture trop longue emportait son secret. J’aurais voulu avoir le courage d’aller lui parler, lui demander si sa vie avait effectivement été triste. Si ça l’avait amusé de nous chasser de son jardin et comprendre pourquoi il s’habillait comme ça. Je ne connais même pas son nom. Ils l’avaient retiré de la boite aux lettres avant que je n’apprenne à lire.

Photos: Monsieur Gac

Texte: Anthony Navale

Sa féminité.

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La féminité m’a attiré très vite parce qu’elle m’était interdite. Tout ce qui nous est interdit nous attire, on le sait parfaitement. Mais comment se soumettre à une interdiction dont la personne qui en est exempte semble si fière ? Car elle adorait sa féminité. Elle s’en était appropriée tous les codes, et même dans l’excès, elle semblait comblée. Sa personnalité s’articulait autour de cela. Sans maquillage ou sans tenue convenable, elle n’était qu’un fantôme. Nous ne pouvions pas la voir, elle fuyait nos regards. Mais dès qu’elle était prête, nous ne pouvions plus nous en détourner. 

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Je bravais l’interdit petit à petit. Je me suis essayé à des jeux facilement dissimulables. La gestuelle tout d’abord. Cette délicatesse, très souvent inutile et fastidieuse dans la moindre entreprise, s’appliquait sur mon corps sans artifices. Puis j’en suis venu à appliquer ses artifices sur mon corps. Le rouge à lèvres tout d’abord, quelques vêtements à l’occasion, mais, même si ces derniers n’étaient pas à ma taille, il me manquait quelque chose. J’ai d’abord cru que ça venait des cheveux, ma coupe de garçon m’empêchait d’atteindre cette féminité. Puis en voyant des femmes aux cheveux courts, j’ai compris que je n’avais pas saisi ce qui était le plus puissant. Le regard. 

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Les yeux de celles qui se prennent au jeu de la féminité ont un pouvoir et une malédiction. Ce regard appuyé, forcé et maquillé est perçant, insoutenable et envoutant. Par contre, l’excès de produits ou l’habitude d’être soumis à cette puissance le fatiguent et le ternissent une fois dénudé. Le fantôme réapparait, pour vouloir disparaitre. Dès que j’eu compris ce stratagème, je m’employais à me l’adapter. Et ça fonctionnait. Mon regard obtenait une nouvelle force, une facilité de déplacement pour atteindre mes cibles. C’est aussi là que je compris les limites de la féminité. Car sans maquillage, mon regard restait puissant, car je l’avais forgé sans ça, je n’avais pas fondé ma personnalité sur ça. La superficialité me dégoutât instantanément, et je décidais de n’aimer que les regards nus.

Photos: Monsieur Gac

Texte: Anthony Navale

Je suis dans le train.

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Je ne rate jamais mes trains. Je suis toujours en avance. Cette habitude m’a permis d’observer précisément les gares. Et il n’y a rien de plus vivant qu’une gare. Tout le monde a quelque chose à y faire. À chaque heure, cette foule va être éclatée dans tout le pays, retrouver des personnes proches ou en perdre. Nous sommes tous réunis au même endroit dans l’attente de vivre quelque chose, de plus ou moins passionnant. Ceux qui attendent quelqu’un vont forcément passer un moment inédit, ne serait-ce que par l’absence de cette personne. Ceux qui rentrent auront certainement des choses à raconter, des habitudes à reprendre ou simplement une lessive à faire. Mais les plus chanceux, à mon sens, sont ceux qui partent. Et aujourd’hui je suis chanceux.

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Que ce soit pour un weekend romantique, un enterrement ou une obligation professionnelle, mon voyage en train se déroule toujours de la même façon. Ce rituel me passionne. J’observe d’abord mes compagnons de voyage. Je m’amuse toujours à me demander si les passagers autour de moi seraient à la hauteur d’un casting de film catastrophe s’il nous en arrivait une, de catastrophe. Ensuite, je ne sors aucune de mes affaires tant que nous n’avons pas quitté la ville et sa banlieue. J’observe les gens dehors. Cette femme attend-elle un train pour simplement aller faire des courses ? Ces personnes n’ont-elles pas d’autre endroit pour trainer que la gare ? Ce garçon fuira-t-il un jour cette petite ville, comme je l’ai fait à son âge ?

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Après avoir inventé la vie de ceux qui m’entourent, je reprends en main mon voyage. Un voyage est ce qu’on en fait. Un bébé pourra s’époumoner à vos côtés, il vous suffit d’anticiper ce scénario. Je suis particulièrement serein dans un train, bébé à bord ou non. Lorsqu’on achète son billet, on ne s’intéresse qu’à l’heure de départ, et à celle d’arrivée. On se fout de savoir ce qu’il se passera entre ces deux horaires. Et c’est là que la sérénité intervient. On n’attend rien de vous pendant cette période. Vous n’avez pour seule mission que de vous rendre d’un point à un autre. Entre ces deux points, vous lisez ce que vous voulez, vous écoutez ce que vous voulez, vous pensez à ce que vous voulez. Vous êtes dans un temps mort. Même votre situation géographique vous est inconnue. On ne peut pas vous déranger, vous êtes en transit.

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Les paysages vous renvoient à cette condition. Vous êtes dans une zone sans nom, sans habitants. Votre vie est suspendue un instant. Vous pouvez avoir les pires soucis de votre existence, il vous suffit de vous hypnotiser en regardant dehors. Les voyages en train sont une petite thérapie. Une parenthèse avant d’arriver et de prendre un nouveau rôle dans la gare de votre destination. Cette fois-ci, je jouerai celui qui revient.

Photos: Monsieur Gac

Texte: Anthony Navale

Vienne la nuit.

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La première fois que ça m’est arrivé je devais être malade, ou avoir trop bu la veille. Du coup, j’étais rentré chez moi, épuisé au point de m’endormir dès 18h. Mon boulot ne me fatiguait pas tellement et ma routine n’avait rien de déplaisant, mais ce soir là, il fallait à tout prix que je dorme. Et c’est là que ça s’est produit. Je me suis réveillé vers 1h du matin. Parfaitement reposé et pleinement conscient. Et là, tout avait pris un autre sens. J’étais dans un état second. Tout était silencieux, un soir de semaine il ne se passe jamais rien, et j’étais seul. J’ai décidé de sortir. Profiter de ce silence.

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Une fois dehors j’étais puissant. La nuit ne m’effrayait pas du tout. Mes réflexions me semblaient si bêtes, si simples et finalement si évidentes. Je n’étais qu’un humain parmi tant d’autres qui ne laisserait aucune trace substantielle derrière soi, et ça m’allait très bien. Je me consolais en étant le maître de la nuit. Car si je n’étais qu’un quidam sans avenir merveilleux, au moins j’avais découvert la tranche horaire qui n’intéresse personne, et là je pouvais sereinement réfléchir. Tous mes soucis devenaient légers, ils disparaissaient même, tellement je les trouvais inintéressants devant la grandeur de la nuit. Je n’avais pas à la partager, et le peu de gens que je croisais ne faisaient qu’aller d’un endroit à un autre de manière exceptionnelle. Ils ne se promenaient pas dans la nuit, ils la traversaient rapidement. Sont-ce notre instinct et la société qui nous ont poussés à devenir des animaux diurnes? J’ai lu quelque part, suite à cette première sortie, qu’à une époque, des classes sociales aisées se levaient pendant quatre heures au milieu de la nuit pour lire, écrire ou faire l’amour avant de retourner dormir. J’aurais aimé vivre avec eux.

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Depuis j’essaie de reproduire cet état second aussi souvent que possible. Je devrais renoncer à toute vie sociale si j’instaurais ce rythme de façon permanente. Des nuits qui commencent à 18h, c’est handicapant socialement. Je me console en me disant que cette tranche horaire m’est toujours réservée. Que ma porte vers la pleine conscience est toujours ouverte. Quand je la franchirai à nouveau, je redeviendrai le petit homme qui marche la nuit. Ce petit homme qui a conscience de n’être rien, et d’en être bien.

Photos: Monsieur Gac

Texte: Anthony Navale

 

De la cour au jardin.

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En voyant la moquette, j’ai su que j’allais passer un moment effroyable. Mon père m’y emmenait pour la première fois et déjà le théâtre m’était hostile. Comment allais-je survivre à un endroit qui réunit autant de facteurs allergènes dans un lieu clos ? La moquette avait disparu de chez nous après avoir tenté de me tuer, et je la retrouvais luxueusement installée dans un endroit où je rêvais d’aller. Je serrai la main de mon père un peu plus fort, et décidai d’affronter cet obstacle courageusement. Après tout, mon père n’y était pour rien dans la présence de cette moquette puisqu’il n’était jamais entré dans un théâtre de sa vie. C’est moi qui l’avais supplié de m’y emmener.

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Après avoir survécu au hall d’entrée, je réalisai que le spectacle avait déjà commencé. Toutes les lumières étaient encore allumées et le rideau baissé, mais dans la salle se déroulait une parade burlesque dans un décor irréel. Les premiers rangs se croyaient sur scène et maîtrisaient leur rôle à merveille : celui de ne pas s’assoir trop vite pour qu’on puisse admirer, nous les rangs inférieurs, leurs tenues trop chères et trop inconfortables pour rester assis trop longtemps. J’apercevais assez peu d’enfants, nous étions trois. Une petite fille déguisée comme sa mère au premier rang et un autre garçon accompagné comme moi par son père. C’était rassurant de voir que je n’étais pas le seul à admirer les lieux. Pour tout le monde il était normal d’être dans une grande pièce richement décorée, et ne pas y faire attention. Mettez ces mêmes personnes dans un terrain vague et elles se concentreraient un peu plus sur le décor. Lorsque la lumière s’éteignit, le spectacle me plut encore plus. Celui sur la scène aussi.

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En sortant de la salle, j’oubliais la moquette de l’entrée pour continuer de scruter les spectateurs. Je voulais voir à qui appartenaient les rires et les commentaires entendus pendant la pièce. C’était une pièce très amusante, mais elle pas semblait être nouvelle pour tout le monde. Mon père s’éclipsa aux toilettes me laissant à côté d’un groupe de vieilles dames incroyables. Elles parlaient en même temps, sans s’écouter les unes les autres. Chacune y allait de sa surenchère de commentaires : «Ô mais qu’il était charmant », « Quelle mise en scène audacieuse ! », « Je préférais la programmation précédente… », « Mais complètement ! C’est incroyable ! », « Tu es perdu mon petit ? ». Je les dévisageais tellement qu’à un moment donné je faisais partie de leur groupe. J’ai ri et je suis parti retrouver mon père qui me faisait signe au loin. Cette soirée était la plus réussie de ma vie.

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Désormais mes allergies sont moins graves, mais un nouveau mal me prend lorsque je vais au théâtre. Le lieu me fascine toujours autant, peu importe la salle, mais j’ai le vertige et la nausée. Quand la lumière de la salle est allumée, le bruit m’est insupportable, et lorsque les lumières s’éteignent, c’est pire que le vacarme. On appelle ça le trac apparemment.

Depuis la scène ma concentration est telle que je ne peux plus me délecter des premiers rangs, mais selon mon rôle, je prends toujours un instant en espérant apercevoir le groupe de dames loquaces et la petite fille déguisée de mon enfance. Et avant de monter sur scène, je repense à elles pour lutter contre le trac.

Photos: Monsieur Gac

Texte: Anthony Navale

De valeur familiale.

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Ma soeur et moi ne sommes très proches que depuis peu. Chacun vivait sans se soucier de l’existence de l’autre. Nous faisions de notre mieux. Il est tellement simple de s’entourer d’une multitude de personnes, qu’il est aussi simple d’en oublier l’essentiel. Des inconnus étaient devenus plus enrichissants, plus stimulants et plus originaux. Elle ne s’est pas manifestée plus tôt, donc je ne ressentais pas d’urgence la concernant.

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Puis ses regards ont changé. Je ne me rendais pas ou peu compte de leur intensité, mais j’y ai vu une force. Quelque chose de nouveau. Un appel à l’aide. Elle voulait que je l’aide, pour supporter sa vie, que je la soutienne de manière inconditionnelle et qu’on établisse un lien indestructible. On arrive parfois à des moments de notre existence où on ne se suffit plus. L’autosuffisance se transforme en solitude. L’envie de tendresse évolue en besoin viscéral et elle était dans cette détresse. Elle voulait devenir ma soeur et faire de moi son frère. Car officiellement nous ne le sommes pas.

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Une famille peut compter sur les liens du sang pour établir plusieurs évidences: personne ne peut couper ce lien, il est impossible de revenir dessus… Certains s’en servent à des fins utiles d’entre-aide et de valeurs communes, d’autres comme un moyen d’emprise et de pression. Nos véritables familles étaient plutôt douées dans l’exercice oppressant de nos rapports. D’où le besoin de s’en construire une autre. Ma soeur ne peut pas compter sur ce lien si elle ne reste que mon amie. Nous voulions un mot, un contrat qui nous garantisse une relation sur laquelle on ne puisse pas revenir. Une situation qui nous permette de ne plus anticiper d’usure ou de doute. Même si nous nous perdions, le lien serait devenu indestructible. Nous n’utilisons pas ce terme publiquement, par peur d’être taxés de niais ou d’enfants, voire les deux. Mais lorsque je lui dis «je t’aime», pourquoi cela aurait il moins de sens qu’entre deux amoureux? Il n’y a rien de moins fragile et d’aussi peu valable qu’un «je t’aime» trop frais. Ma soeur et moi ne sommes très proches que depuis peu.

Photos: Monsieur Gac

Texte: Anthony Navale

Tour de visite.

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J’étais sceptique à l’idée de ce voyage, mais tu as eu raison d’insister. Quand tu m’as parlé de ces excursions organisées j’étais horrifié ! Faisais-je déjà partie de cette population qu’on fout en lot dans une balade millimétrée pour les divertir avant de mourir ? Pour moi c’était vraiment une exploitation maximale de nos revenus. « Venez dépensez l’argent de votre vie avant de la quitter, comme ça, tout le monde sera content ! ». Mais je me rends compte que mes aprioris sur les États-Unis étaient infondés. Le seul qui soit juste, c’est que ce pays est fou !

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Là où j’attendais des obèses à chaque coin de rue, je me suis retrouvé entouré de jeunes gens en pleine forme, faisant du sport à longueur de journée. Leur bronzage est excessif mais je trouve ça plutôt plaisant. D’autant que mes collègues de voyage sont eux clairement cadavériques… J’en soupçonne même de prendre de l’avance sur le programme « on vous vide les poches avant qu’il ne soit trop tard ». Là où j’attendais des gratte-ciels, je me suis retrouvé face à une maison gigantesque à l’envers ! J’étais fasciné. Je te montrerai les photos. Ce pays est fou !

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J’ai réalisé un rêve hier ! Enfin, il s’est réalisé de lui-même puisque que je ne faisais que contempler la mer. Il y avait des dauphins ! Et en fait je n’en avais jamais vu. C’est là que j’ai compris qu’on avait tellement de choses à portée de main, qu’on ne faisait rien. Tu pourras te renseigner sur les voyages en Nouvelle-Zélande ? J’ai décidé de réaliser toutes les envies que j’ai, puisqu’elles ne viendront pas à moi toutes seules. Et puis la Nouvelle-Zélande, ça sera surement moins fou qu’ici.

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Demain nous partons pour New-York. Tu te rends compte ? New-York ! Ils nous ont conseillé de bien dormir cette nuit puisque le programme est intense là-bas. Je mélange certainement l’ordre mais nous verrons, l’Empire State Building, Broadway puis notre française de Statue de la Liberté ! On terminera ensuite par la visite du World Trade Center ! Je me demande ce que nous allons vivre d’autre là-bas ! Ce pays est tellement fou…

Photos: Yoann Mondini

Texte: Anthony Navale

 

 

Ils sont où je les ai laissés.

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Je n’y ai pas vécu longtemps mais je m’en souviens parfaitement. J’y suis même né. Quand on est enfant on ne fait qu’observer. L’expérimentation arrive après. Dans leur observation, je remarquais que mes parents lâchaient prise quand ils étaient dans leur meute, notre famille. La meute vivait toujours dans des rues voisines, pour faciliter les retrouvailles incroyablement fréquentes. C’était ma réalité. Ce n’est que plus tard que j’ai compris que ma relation avec mes cousins étaient plus fortes que certains frères et sœurs que j’ai ensuite pu croiser. J’avais donc 15 « frères » et « sœurs ». Alors que mes parents semblaient s’amuser davantage qu’avec moi, je les comprenais puisque je ne buvais pas la même chose qu’eux, mes grands-parents eux les regardaient calmement. Deux générations qui observent celle qui les sépare. Leurs repas étaient très animés, j’ai arrêté de sursauter à cause du bruit grâce à eux. Je me rends compte qu’ils étaient plus jeunes que je ne le suis aujourd’hui. Et je suis très bruyant aujourd’hui.

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En dehors du bruit que j’ai vite appris à apprivoiser, j’ai expérimenté énormément de choses. Le rapport de mon corps avec la matière avant tout. Je comparais les textures entre elles. Le bois de certains jouets était plus brut, voire dangereux avec ses échardes, que le plastique de certains autres. Le plastique, lui, me semblait parfait, jusqu’à ce que l’impression dorée de la marque de fabrique ne se décolle pour rester coincé dans mes empreintes digitales. Je considérais ce phénomène comme « les échardes du plastique ». Plus douloureux que les échardes, il y avait la moquette courte. Je voulais imiter un de mes « frères » qui glissait sans cesse par terre chez lui, quand je me suis brûlé violemment les genoux… Il avait du parquet… Le sable lui me dégoûtait profondément surtout quand je le sentais enfoui à la base de mes cheveux. L’eau par contre était amusante. Les bords de mer sont un espace rêvé pour grandir. Mais le rêve ne dure pas longtemps si je me fie à eux.

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Grandir a en ça de tragique qu’on comprend que ce qu’ils font n’est pas la vérité. Et surtout qu’il ne faut pas forcément les suivre. Leurs rituels restaient les mêmes. Se voir, boire et rire. Ils étaient protégés de la vie jusqu’à ce que la vie se rappelle à eux. Le premier drame leur fit comprendre qu’on ne pouvait pas que boire, rire et manger. Et de spectateurs nous devenions acteurs. Ils se référaient à nous. Nous devenions une espèce de miroir plus ou moins bien réfléchissant. Pour certains, ils se sont mis à nous prendre au sérieux en s’occupant davantage de nous. Pour d’autres nous étions des ennemis, qui avions pour mission de leur rappeler le temps qui passe. Je n’ai pas appris qu’à distinguer le sable du plastique là-bas… J’ai découvert bien plus, et je suis parti.

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Je n’y retourne que pour des occasions bien précises. La joie de leurs repas n’existe plus que dans mes souvenirs. Leurs bruits me font à nouveau sursauter.

Photos: Monsieur Gac

Texte: Anthony Navale

I don’t mind the gap.

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J’attendais ce moment dès le mardi. Dès le mardi je me disais que nous étions « la veille du milieu de semaine avant le weekend », le weekend signifiant lui-même « la vie, la vraie, lâchage complet ». Il n’y a bien que le lundi que je devais être un peu en deçà de mes espérances, et certainement épuisé du weekend passé, puisque le lundi n’était que désespoir… Je réalisais que j’étais dans une boucle qui ne s’arrêterait jamais. Que j’étais conditionné à toujours attendre le weekend, et en l’occurrence commencer à l’attendre dès « la veille du milieu de semaine ». Le lundi était la prise de conscience de cette vie, finalement assez minable, qui consistait à me faire croire que mes efforts seraient récompensés par un repos mérité et une liberté sans limites réguliers. Mais dès que l’attente du weekend se remettait en place tout allait bien, je n’avais plus qu’à le fantasmer et y aller à fond dès le signal donné.

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Je l’ai rencontrée un samedi soir, ou plutôt un dimanche matin, puisque nous sommes incapables de resituer exactement l’heure et l’ordre dans lesquels nous sommes arrivés. Nous étions heureux dès l’instant où nous avons réalisé la passion que nous avions en commun! Elle envisageait la vie de la même façon que moi ! La seule différence dans son rituel c’est qu’elle comptait les « dodos » avant l’arrivée du weekend, ce qui avait un avantage certain sur ma méthode, puisque pour elle le lundi devenait « encore 4 dodos avant le weekend » ! Et 4 ça semble tout à fait surmontable ! Depuis j’utilise sa technique. Ça me permet de ne plus trop penser au cycle dans lequel nous sommes…

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Depuis nous ne nous quittons que par obligation professionnelle. Mais de temps en temps nous n’attendons pas le weekend pour vivre la vie comme nous l’entendons. Même à « encore 3 dodos » nous vivons l’instant sans limites ! Finalement l’angoisse de la routine a disparu, puisque même si ce cycle nous est imposé, nous le faisons ensemble. Et la solitude reste finalement la pire des choses devant n’importe lequel des cycles.

Photos: Yohann Lavéant

Texte: Anthony Navale