La féminité m’a attiré très vite parce qu’elle m’était interdite. Tout ce qui nous est interdit nous attire, on le sait parfaitement. Mais comment se soumettre à une interdiction dont la personne qui en est exempte semble si fière ? Car elle adorait sa féminité. Elle s’en était appropriée tous les codes, et même dans l’excès, elle semblait comblée. Sa personnalité s’articulait autour de cela. Sans maquillage ou sans tenue convenable, elle n’était qu’un fantôme. Nous ne pouvions pas la voir, elle fuyait nos regards. Mais dès qu’elle était prête, nous ne pouvions plus nous en détourner. 
Je bravais l’interdit petit à petit. Je me suis essayé à des jeux facilement dissimulables. La gestuelle tout d’abord. Cette délicatesse, très souvent inutile et fastidieuse dans la moindre entreprise, s’appliquait sur mon corps sans artifices. Puis j’en suis venu à appliquer ses artifices sur mon corps. Le rouge à lèvres tout d’abord, quelques vêtements à l’occasion, mais, même si ces derniers n’étaient pas à ma taille, il me manquait quelque chose. J’ai d’abord cru que ça venait des cheveux, ma coupe de garçon m’empêchait d’atteindre cette féminité. Puis en voyant des femmes aux cheveux courts, j’ai compris que je n’avais pas saisi ce qui était le plus puissant. Le regard. 
Les yeux de celles qui se prennent au jeu de la féminité ont un pouvoir et une malédiction. Ce regard appuyé, forcé et maquillé est perçant, insoutenable et envoutant. Par contre, l’excès de produits ou l’habitude d’être soumis à cette puissance le fatiguent et le ternissent une fois dénudé. Le fantôme réapparait, pour vouloir disparaitre. Dès que j’eu compris ce stratagème, je m’employais à me l’adapter. Et ça fonctionnait. Mon regard obtenait une nouvelle force, une facilité de déplacement pour atteindre mes cibles. C’est aussi là que je compris les limites de la féminité. Car sans maquillage, mon regard restait puissant, car je l’avais forgé sans ça, je n’avais pas fondé ma personnalité sur ça. La superficialité me dégoutât instantanément, et je décidais de n’aimer que les regards nus.
Photos: Monsieur Gac
Texte: Anthony Navale