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I don’t mind the gap.

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J’attendais ce moment dès le mardi. Dès le mardi je me disais que nous étions « la veille du milieu de semaine avant le weekend », le weekend signifiant lui-même « la vie, la vraie, lâchage complet ». Il n’y a bien que le lundi que je devais être un peu en deçà de mes espérances, et certainement épuisé du weekend passé, puisque le lundi n’était que désespoir… Je réalisais que j’étais dans une boucle qui ne s’arrêterait jamais. Que j’étais conditionné à toujours attendre le weekend, et en l’occurrence commencer à l’attendre dès « la veille du milieu de semaine ». Le lundi était la prise de conscience de cette vie, finalement assez minable, qui consistait à me faire croire que mes efforts seraient récompensés par un repos mérité et une liberté sans limites réguliers. Mais dès que l’attente du weekend se remettait en place tout allait bien, je n’avais plus qu’à le fantasmer et y aller à fond dès le signal donné.

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Je l’ai rencontrée un samedi soir, ou plutôt un dimanche matin, puisque nous sommes incapables de resituer exactement l’heure et l’ordre dans lesquels nous sommes arrivés. Nous étions heureux dès l’instant où nous avons réalisé la passion que nous avions en commun! Elle envisageait la vie de la même façon que moi ! La seule différence dans son rituel c’est qu’elle comptait les « dodos » avant l’arrivée du weekend, ce qui avait un avantage certain sur ma méthode, puisque pour elle le lundi devenait « encore 4 dodos avant le weekend » ! Et 4 ça semble tout à fait surmontable ! Depuis j’utilise sa technique. Ça me permet de ne plus trop penser au cycle dans lequel nous sommes…

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Depuis nous ne nous quittons que par obligation professionnelle. Mais de temps en temps nous n’attendons pas le weekend pour vivre la vie comme nous l’entendons. Même à « encore 3 dodos » nous vivons l’instant sans limites ! Finalement l’angoisse de la routine a disparu, puisque même si ce cycle nous est imposé, nous le faisons ensemble. Et la solitude reste finalement la pire des choses devant n’importe lequel des cycles.

Photos: Yohann Lavéant

Texte: Anthony Navale

Roulocratie

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Nous étions parfaitement conscients du risque que nous prenions. Le règlement de la Communauté des Rouleurs était intransigeant et connu de tous. Mais nous voulions que les choses évoluent, du moins un peu. Nous voulions marquer l’histoire de la Communauté à notre façon. Certes les rassemblements immobiles étaient certainement le pire des crimes après celui de dépasser un Contrôleur de Roulage, mais nous devions être sûrs de notre message et de la méthode à suivre pour que notre opération soit forte, sensée et révolutionnaire. Donc nous arrêtions de rouler un instant pour établir la marche à suivre.

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L’évolution des rouleurs est évidente. Il suffit de voir les fossiles de nos ancêtres Ornithorouleurs, puis Reptilorouleurs et de notre forme actuelle de rouleurs pour comprendre que nous évoluons certes, mais que nous nous dirigeons toujours dans le même sens… Le règlement est très clair à ce sujet.

Art. 23: les rouleurs avancent en ne précédant que leur prédécesseur de roulage.

Art. 57: seuls sont autorisés à rouler, sur une cinquantaine de rouleurs en arrière, les Contrôleurs de Roulage assermentés par la Haute Communauté des Rouleurs.

Art. 753: un Rouleur immobile sera contourné par ses successeurs de roulage sur un écart de 2 impulsions maximum. Ces derniers reprendront le chemin initial dans l’attente qu’un Contrôleur de Roulage exécute le rouleur immobilisé, sauf si celui-ci est déjà décédé. Bien en entendu cette dernière loi a été allégée puisque désormais les contrôleurs demandent à l’immobilisé pourquoi il s’est immobilisé avant de tirer.

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Nous n’étions immobiles que depuis 2 minutes quand le Contrôleur qui nous précédait arriva à notre niveau. Il semblait vraiment dérouté et devait ne pas avoir eu beaucoup de cas extravagants dans sa carrière, les cinquantaines de rouleurs qui nous suivaient et nous précédaient étaient réputés pour leur discipline. C’est ce qui nous permit de gagner de précieuses secondes pour le convaincre de notre plan: autoriser, quelques moments dans nos journées de roulage, des pauses nous permettant de nous éloigner de la file, se reposer un peu, découvrir de nouveaux itinéraires à proposer à la Communauté et, pourquoi pas, changer l’ordre dans lequel nous roulions pour découvrir de nouveaux rouleurs… L’idée le troubla et dut même le séduire, lui qui avait le plus de liberté parmi nous avait bien dû apercevoir des rouleurs avec qui il aurait aimé échanger quelques mots, il devait même espérer que certains s’arrêtent exprès pour qu’il vienne les voir… La rêverie s’arrêta assez brusquement puisqu’il nous annonça que «non, la Communauté doit avancer» puis nous exécutât assez rapidement. Nous n’étions pas formés à fuir.

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La Haute Communauté des Rouleurs revint rapidement sur l’article 753 suite à cet incident qui fit grand bruit en haut lieu. Le rôle des Contrôleurs fut lui aussi révisé pour éviter la perversion de leurs esprits par divers incidents dans l’esprit de notre révolte. Les Contrôleurs étaient désormais exécutés suite à deux exécutions de leur part, sinon ils pourraient commencer à ingérer les idées de révolte entendues lors de rébellions (article 753.2). Depuis la communauté avance vite et bien.

Photos: Jérôme Sussiau

Texte: Anthony Navale

Entre chiens et loups.

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Depuis que je les ai croisées, je ne suis plus la même. Tout s’impose à moi comme un choix. Je suis obsédée par tous ces choix que la vie m’impose. J’étais pleine de certitudes, je n’avais pas à choisir puisqu’IL me guidait. J’étais complètement passive entre ses mains puisqu’IL s’en était servi pour écrire ce que je devais faire. Mais j’avais tort. Je devais choisir, entre marcher dans l’ombre ou marcher dans la lumière. 

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La lumière, je la voyais partout. Mais j’ai commencé à comprendre qu’elle n’était que faible. L’obscurité l’étouffait. Au début, mon regard et mon esprit s’efforçaient de s’accrocher à cette lumière, à sa puissance. Je n’étais qu’un moustique idiot attiré par une lampe. Dès le lendemain matin de leur rencontre, je commençais à comprendre que mes appareils ménagers étaient plus éteints qu’allumés. Que mon salon était plus souvent dans l’ombre qu’en plein soleil. Je me suis même surprise à pester contre l’agent immobilier qui me l’avait présenté comme un avantage… En me rendant à mon Église l’après-midi, je me suis rendue compte qu’elle même censurait la lumière à travers des vitraux ! 

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La vieille dame que je suis aurait dû songer à la mort bien avant. Mais je m’en remettais à Lui. Et surtout, songer à la mort implique de se mettre à songer à la vie, à sa vie. Et c’est une antenne télévisée, astucieusement combinée à la lumière, qui m’a rappelé que ma mort n’était plus très loin. Je l’ai vue comme un signe de mort avant même de penser à un crucifix. Pour la première fois de ma vie, la croix représentait ma tombe et non le symbole de mon créateur… Le bilan de ma vie s’en suivit rapidement. En pensant bien agir, j’ai mis ce qui m’arrangeait dans la lumière. Ce que je ne voulais pas voir était stratégiquement relégué dans l’obscurité. D’une prétendue vertu, j’avais en fait mis en place un stratagème d’archivage définitif. Je ne prenais pas le temps d’analyser les gens ou les situations, ça partait soit dans l’un, soit dans l’autre. Les uns devenaient ma réalité et ma morale, les autres n’existaient simplement plus. L’obscurité n’existait plus, et je ne me suis mise qu’à la regarder à nouveau à cause d’elles… 

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Que foutaient-elles dans un lieu public ? Dans un cimetière qui plus est ! J’étais venue sur la tombe du Baron Haussmann comme j’aime le faire dès que la saison le permet, quand j’ai aperçu ces deux filles. Malgré mes prédispositions à mettre l’homosexualité dans l’ombre de mon jugement sans aucune forme de procès, j’ai su en les voyant que ce n’était pas deux amies en promenade. Non. Elles étaient ensemble. C’était un couple ! Qui s’aimait ! Et le simple fait d’avoir envisager la notion d’Amour entre deux femmes, m’a fait m’asseoir un instant. Je me suis même mise à rire dans mon malaise en voyant la sépulture d’Alfred de Musset et en repensant à sa liaison avec George Sand… Alfred et George… Et c’est là qu’est apparu le premier choix. Devais-je continuer mon malaise ou me laisser aller à plus de légèreté ? Devais-je rester dans le confort de ma lumière ou commencer à m’intéresser à tout ce que j’avais bazardé dans l’ombre ? Il était temps que je commence à faire cet inventaire, avant qu’on vienne s’asseoir sur la mienne, de tombe.

Photos: Grégory Stephan

Texte: Antoine Navale

Métaphysique champêtre.

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Depuis que nous vivons ici, je me sens mourir un peu plus. La vie à la campagne a ce charme de vous rendre une liberté et l’espace perdus en ville, pour ensuite finir de vous achever, dans un cadre plus confortable. À mon arrivée c’était forcément plaisant tout cet espace, mais j’étais déjà résigné à ne plus beaucoup me déplacer. Donc un peu plus ou un peu moins. Et puis, il fait toujours trop chaud ici.

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Il n’y a bien qu’elle que ça ne dérange pas. Toujours affalée au soleil depuis notre emménagement. Elle doit certainement vouloir réduire l’écart de nos espérances de vie en s’exposant ainsi. Elle sait que les hommes vivent moins longtemps que les femmes, alors elle crame la distance. Littéralement.

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Cache-cache. Ce jardin est tellement grand qu’il m’arrive de m’y perdre. « Cache-cache »… En quoi le fait de répéter deux fois un mot le transforme-t-il en jeu ? On pourrait simplement « jouer à se cacher ». On n’a pas donné un autre mot pour parler d’un « porte manteau » ou d’une « pince à linge ». C’est nommé par sa fonction. C’est simple. « Cache-cache » n’est que l’illustration de l’imagination des enfants. Qui se permettent tout. Ils agissent comme des adultes alcoolisés mais ça ne choque personne. Il me semble n’avoir jamais agi de la sorte. Mon enfance est trop lointaine. Enfin je crois.

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Mes meurtres eux sont restés secrets. J’ai réussi à lui cacher ce penchant sordide, tout en exploitant les capacités de ce jardin. « Cache-cache » je vous disais. Le calme de la campagne est favorable à cette activité. Certains dorment au soleil, d’autres dorment encore plus profondément sous la terre chauffée par le soleil. Je n’ai fait que les décaler un peu plus vers le bas en somme. Mais je ne m’en prendrais jamais à elle. Trop attaché.

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Il n’y a bien qu’ici que je suis au calme, au frais. Je ne fuis cet endroit que lorsqu’il y a des invités qui décident de faire un jeu pour se remettre du soleil qu’ils se sont infligés la journée. Je ne joue jamais avec eux, de toute façon on ne me propose jamais de jouer.

Sûrement un des avantages d’être un chat.

Photos: Monsieur Gac

Texte: Anthony Navale

Laissez-moi vous regarder.

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J’ai toujours été perplexe concernant Paris. Je ne supporte plus les gens dans ses rues. Je ne supporte plus l’odeur de certains quartiers, ni les habitants que je croise. Pourtant j’ai toujours voulu y vivre. J’ai toujours voulu en faire partie, de ces rues, de ces gens, et peut être de ces odeurs… Lorsque j’ai découvert cette trappe sur mon palier, je me suis rappelé pourquoi j’avais aimé Paris. Quand on l’observe depuis un toit, on l’apprécie sans subir ses parasites grouillants. C’est beau, c’est inégal, et c’est unique.

C’est aussi cette trappe qui m’a mené à lui.

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La première fois qu’il m’a rejoint sur le toit, j’étais vexé. Pourquoi faut-il que les bonnes adresses soient prises d’assaut dès qu’on a le malheur de les découvrir ? D’autant que je n’en avais parlé à personne. Il est monté tout naturellement. S’est dirigé vers moi en plaisantant « excusez-moi, vous n’auriez pas une cigarette ? »

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J’observais Paris depuis des semaines pendant que lui m’observait. Il était amusé de me voir tirer la gueule « en bas » et être serein ici. Je lui expliquais qu’il était correct, voire obligatoire d’être un zombie dans le métro, mais que chez soi, chaque parisien redevenait certainement humain. Ma vision de notre ville l’amusait. Il venait d’arriver, son accent le trahissait. Il y croyait encore. Pour lui, il suffisait d’oser. Oser parler aux inconnus, oser sourire « en bas », oser traverser la rue pour pénétrer dans l’immeuble d’en face et monter au dernier étage en espérant que l’accès vers le toit ne soit pas privatif, pour finalement oser demander une cigarette à quelqu’un qu’on observait. Il a eu raison.

Désormais, quand il pleut, il ne monte que chez moi.

Photos: Jérôme Sussiau

Texte: Anthony Navale

 

Nous n’étions pas enclins à vivre ensemble.

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De par notre éducation commune, nous n’aurions jamais dû en arriver là. J’ai toujours cultivé ma différence. Pour moi avant tout. Je rêvais de légèreté, que tout soit simple. J’ai choisi le BLEU pour ça. Pour que tout soit plus léger. Aucune provocation. Juste un message simple. Mon message n’était pas clair. Du moins, les autres n’étaient pas prêts pour ça. 

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Je ne sais pas pourquoi il a eu cette idée. Je ne comprends jamais ses idées. Il savait parfaitement qu’il nous provoquait, sous ses airs de ne pas y toucher. Je l’ai pris pour moi tout d’abord, on m’a toujours donné le rôle du second. Second, pourquoi pas ? Mais second après lui je ne peux plus… C’est pourquoi en réponse directe à son BLEU ridiculement léger, j’ai tranché pour le ROUGE. Il devait voir que je ne serais jamais comme lui ! Le ROUGE lui déclarait la guerre ! Il a pourtant trouvé le moyen de me faire un compliment ! Comme s’il se foutait totalement de la situation dans laquelle nous étions ! Il voulait avoir un coup d’avance encore une fois. Je le défiais, et il prétendait qu’il était déjà au-dessus de cette défiance ! Je vomis cette fausse sérénité, je vomis son BLEU, je le vomis lui. Et mon ROUGE ne laissera plus aucune trace de tout ça, il brûlera le dégoût, son dédain, ma défiance, rien ne survivra ! 

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Je fonctionne toujours par tradition. Par tradition le ORANGE était acceptable. Par tradition le ORANGE était notre origine commune, nous avions été conçus de cette façon. Par tradition nous devions nous voir, tous les ans, pour le même dîner. La tradition était parfaitement respectée, jusqu’au jour où un de nous a fait le choix de rompre avec le ORANGE. Ça m’a tout d’abord surpris, et puis je me suis dit que la tradition du dîner ne reposait pas que sur le ORANGE. Ce n’était qu’un élément de notre tradition. Lorsque le ROUGE fut introduit, là j’ai mis plus de temps à m’en remettre. Pourquoi vouloir apporter tant de nouveaux éléments à notre rendez-vous ? Depuis toujours nous étions trois ORANGEs. Et maintenant je me portais seul garant de la tradition. Je devais être fort pour ne pas céder et maintenir ce qui nous a toujours unis. Alors cette année j’ai décidé de ne pas changer comme les autres l’avaient fait. Cette année, comme toutes les autres, passées et à venir, je resterai ORANGE. 

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Nous ne communiquions plus. Ce dîner fut plus court que les autres. Nous ne le savions pas mais ce dîner n’avait plus de sens. Le dernier toast fut un au revoir. C’est aux adieux que nous levions notre verre.

Photos: Monsieur Gac

Texte: Anthony Navale