
« C’est toi qui as peur de la solitude! » ai-je répondu à cette personne qui me disait qu’elle trouvait triste les gens qui mangeaient seuls au restaurant. Mais j’ai bien vu que ça dérangeait pas mal de monde cette habitude que j’avais prise. On me remarque. Seule au fond de ce restaurant tous les jours. La dernière fois, j’ai surpris la serveuse dire à la nouvelle qu’elle formait « elle, elle vient tous les jours, toute seule ». Et elle ne lui a même pas parlé du couple qui vient à la même fréquence que moi, ni même de ces trois collègues qui commandent toujours la même chose ! Non ! Elle n’a mentionné que moi. Parce que ça doit les gêner. J’imagine. Pourtant je n’ai rien d’excentrique, ni dans mes tenues, ni dans mes menus. Je suis juste une femme qui déteste faire à manger.

Quelle honte devrais-je avoir de venir seule dans un restaurant? Ces derniers sont aussi utiles que les hôpitaux puisque les jours fériés, c’est bien les transports, les hôpitaux et les restaurants qui restent ouverts! Ils sont d’utilité public! Alors pourquoi une personne, une femme de surcroît, seule dans un restaurant semble aussi louche ou pathétique? Ces lieux sont-ils réservés aux seuls couples désireux de montrer leur amour en public, ou aux groupes d’amis soucieux d’ennuyer les tables voisines de leur bruit? En quoi exposer ma solitude quand je me nourris est-il plus grave que les exemples sus-nommés?!

Afin de déstabiliser la serveuse qui me présente comme la dernière des ratées à ses collègues, j’ai décidé d’en ramener une des miennes, de collègues. L’effet était immédiat! La serveuse me dévisageait et, surtout, voyait que ma collègue ne présentait aucun signe flagrant de folie et qu’elle semblait même m’apprécier. J’étais fière de mon stratagème. Tu me prenais pour une folle? Tu me voyais sans travail, sans amis, sans rien que de l’argent à gaspiller dans ton restaurant, toute seule? Et bien non! Ceci dit, j’avais oublié un détail important dans ma combine. Ma collègue. Elle a parlé pendant tout le repas de choses aussi intéressantes que ses problèmes de transport le matin et de ses dossiers qui l’attendaient au retour de sa pause. Je ne l’ai plus jamais invitée. Je déteste qu’on parle en mangeant.

Je viens désormais à 11h30 quand il n’y a personne. Comme ça, je n’ai pas à supporter le bruit des autres clients du restaurant, et les propositions de mes collègues qui souhaitent désormais manger avec moi. 11h30, c’est mon heure! Même la serveuse semble différente à ce moment là. La tension du service qui l’attend n’est pas encore là. Ca ne l’empêche pas de me juger, depuis que je viens plus tôt que tout le monde. C’est fascinant de voir à quel point un horaire détermine le rythme des gens. A 11H30, il est inconcevable pour la plupart d’aller manger, même à 11H59 ça ne sonne pas juste. Alors que 12H, c’est autorisé, c’est correct. Mais enfin, si on prend le problème différemment, il faudrait envisager le temps passer entre les repas, et pas l’heure qu’il est, pour savoir à quelle heure notre corps peut se nourrir. Une demi heure n’y changerait rien! Mais je dois être la seule à me poser autant de questions, puisque les autres en sont encore à se demander pourquoi une femme mange seule à 11H30 dans un restaurant.
Photos: Monsieur Gac
Texte: Anthony Navale