histoire

De valeur familiale.

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Ma soeur et moi ne sommes très proches que depuis peu. Chacun vivait sans se soucier de l’existence de l’autre. Nous faisions de notre mieux. Il est tellement simple de s’entourer d’une multitude de personnes, qu’il est aussi simple d’en oublier l’essentiel. Des inconnus étaient devenus plus enrichissants, plus stimulants et plus originaux. Elle ne s’est pas manifestée plus tôt, donc je ne ressentais pas d’urgence la concernant.

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Puis ses regards ont changé. Je ne me rendais pas ou peu compte de leur intensité, mais j’y ai vu une force. Quelque chose de nouveau. Un appel à l’aide. Elle voulait que je l’aide, pour supporter sa vie, que je la soutienne de manière inconditionnelle et qu’on établisse un lien indestructible. On arrive parfois à des moments de notre existence où on ne se suffit plus. L’autosuffisance se transforme en solitude. L’envie de tendresse évolue en besoin viscéral et elle était dans cette détresse. Elle voulait devenir ma soeur et faire de moi son frère. Car officiellement nous ne le sommes pas.

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Une famille peut compter sur les liens du sang pour établir plusieurs évidences: personne ne peut couper ce lien, il est impossible de revenir dessus… Certains s’en servent à des fins utiles d’entre-aide et de valeurs communes, d’autres comme un moyen d’emprise et de pression. Nos véritables familles étaient plutôt douées dans l’exercice oppressant de nos rapports. D’où le besoin de s’en construire une autre. Ma soeur ne peut pas compter sur ce lien si elle ne reste que mon amie. Nous voulions un mot, un contrat qui nous garantisse une relation sur laquelle on ne puisse pas revenir. Une situation qui nous permette de ne plus anticiper d’usure ou de doute. Même si nous nous perdions, le lien serait devenu indestructible. Nous n’utilisons pas ce terme publiquement, par peur d’être taxés de niais ou d’enfants, voire les deux. Mais lorsque je lui dis «je t’aime», pourquoi cela aurait il moins de sens qu’entre deux amoureux? Il n’y a rien de moins fragile et d’aussi peu valable qu’un «je t’aime» trop frais. Ma soeur et moi ne sommes très proches que depuis peu.

Photos: Monsieur Gac

Texte: Anthony Navale

Tour de visite.

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J’étais sceptique à l’idée de ce voyage, mais tu as eu raison d’insister. Quand tu m’as parlé de ces excursions organisées j’étais horrifié ! Faisais-je déjà partie de cette population qu’on fout en lot dans une balade millimétrée pour les divertir avant de mourir ? Pour moi c’était vraiment une exploitation maximale de nos revenus. « Venez dépensez l’argent de votre vie avant de la quitter, comme ça, tout le monde sera content ! ». Mais je me rends compte que mes aprioris sur les États-Unis étaient infondés. Le seul qui soit juste, c’est que ce pays est fou !

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Là où j’attendais des obèses à chaque coin de rue, je me suis retrouvé entouré de jeunes gens en pleine forme, faisant du sport à longueur de journée. Leur bronzage est excessif mais je trouve ça plutôt plaisant. D’autant que mes collègues de voyage sont eux clairement cadavériques… J’en soupçonne même de prendre de l’avance sur le programme « on vous vide les poches avant qu’il ne soit trop tard ». Là où j’attendais des gratte-ciels, je me suis retrouvé face à une maison gigantesque à l’envers ! J’étais fasciné. Je te montrerai les photos. Ce pays est fou !

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J’ai réalisé un rêve hier ! Enfin, il s’est réalisé de lui-même puisque que je ne faisais que contempler la mer. Il y avait des dauphins ! Et en fait je n’en avais jamais vu. C’est là que j’ai compris qu’on avait tellement de choses à portée de main, qu’on ne faisait rien. Tu pourras te renseigner sur les voyages en Nouvelle-Zélande ? J’ai décidé de réaliser toutes les envies que j’ai, puisqu’elles ne viendront pas à moi toutes seules. Et puis la Nouvelle-Zélande, ça sera surement moins fou qu’ici.

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Demain nous partons pour New-York. Tu te rends compte ? New-York ! Ils nous ont conseillé de bien dormir cette nuit puisque le programme est intense là-bas. Je mélange certainement l’ordre mais nous verrons, l’Empire State Building, Broadway puis notre française de Statue de la Liberté ! On terminera ensuite par la visite du World Trade Center ! Je me demande ce que nous allons vivre d’autre là-bas ! Ce pays est tellement fou…

Photos: Yoann Mondini

Texte: Anthony Navale

 

 

Mon amour reste droit.

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C’est la nuit que je le visualise mieux. C’est même à ce moment-là que je le vois parfaitement. Puisqu’il quitte mon souvenir pour s’animer un peu plus et me laisser le contempler. Le reste du temps il est gravé sur ma rétine, je garde sa forme et sa drôle de position en permanence à même mon œil. Comme lorsqu’on regarde directement le soleil et qu’il reste une forme lumineuse à l’intérieur des paupières. Sa silhouette est tout le temps là, dans ma paupière, et contrairement au soleil elle ne s’estompe pas et se ravive même un peu plus la nuit.

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J’étais toute jeune la fois où je l’ai vu. J’étais en vacances en bord de mer. Comme mes parents aimaient changer de destination à chaque fois, je me retrouvais toujours seule au début de nos séjours. Cette fois-là je m’ennuyais terriblement. Il y avait des jeux pour enfant juste à côté du terrain de basket où les plus grands passaient leurs vacances. Je ne comprends toujours pas ce besoin de faire du sport quand on est vacances. Quoiqu’il en soit il était amusant de me tenir en haut du toboggan pour les observer. Ils étaient fascinants. Le sort du monde se jouait là pour eux. Tous les instincts se confrontaient, pour marquer des paniers et montrer aux autres sa supériorité. Via un ballon dans un panier. Une symbolique qui m’échappe, certainement. Le 7ème match du jour n’était pas passionnant, ils étaient tous épuisés par la chaleur et commençaient à se ramollir. Mon intérêt décroissant, je décidai de me pendre par les pieds à l’échelle du toboggan. On s’amuse comme on peut. Et c’est une fois la tête en bas que je l’ai vu. Au milieu de ce groupe de sportifs flasques, il s’est élancé avec vigueur pour marquer un panier. Droit, élégant, précis et fort. Le geste était maîtrisé. Dans ma précipitation pour me redresser et le regarder plus longtemps, je suis tombée. Le temps de me relever et de retirer le sable que j’avais sur moi, il avait disparu. L’avais-je rêvé ? Ma position à l’envers m’avait-elle apporté trop de sang au cerveau? En tout cas le choc avait imprimé son image définitivement puisqu’encore aujourd’hui je le vois partout.

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J’aime me promener en écoutant de la musique pour poser son image dans les endroits les plus variés, que ce soit devant des monuments, à côté d’un groupe d’inconnus ou simplement en levant les yeux au ciel. C’est amusant. Si j’avais retenu l’image d’un vieillard statique, l’effet aurait été moindre… Parfois ça me bouleverse de ne même pas connaître son visage, mais je m’y fais, et me contente de sa présence. Même sans visage je sais que son image ne me quittera jamais.

Photos: Kapstand

Texte: Anthony Navale

Une philosophie de la beauté.

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«La véritable beauté est innée. C’est une beauté universelle: des traits fins sur un visage symétrique pour une personne sans maquillage voire sans coiffure. Rasez la tête d’une belle personne et elle restera belle, malgré l’image que nous avons des cheveux rasés. Car là encore l’image n’est pas réelle. Elle est suggérée. La beauté non. La beauté provoque une émotion en chacun de nous. Nous nous entendons tous à dire d’une personne belle qu’elle l’est. Certains se fourvoient en pensant avoir des goûts bien précis et ne pas trouver la beauté là où tout le monde la voit. Ils confondent Beauté et Goût. Ce qui est beau n’est pas à leur goût, soit, mais cela reste beau. D’autre confondent encore Beauté et Désir. Ceux là sont encore plus dangereux que les goûteux puisqu’ils placent leur désir avant leur capacité de jugement. Leur désir est le prolongement actif de leurs goûts reléguant ainsi la Beauté sur un second plan. Voire pire. »

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« L’Elégance, elle, est acquise. On ne nait pas élégant, on le devient. Là les images, les codes et l’éducation entrent clairement en jeu. L’insolence de la Beauté pourra porter sur son caractère rebelle ou parfois méchant. L’apprivoiser avec l’Elégance relève du défi. Celle ci se compose de manières, de principes et d’attitudes. Il ne suffit pas d’avoir une garde robe fournie pour être élégant. Il ne suffit pas d’être courtois non plus. C’est un mode de vie rigoureux, qui prend soin de soi et des autres. Il inspire le respect puisque les autres connaissent et subissent les mêmes règles! L’élégance passe fondamentalement par le respect. L’élégant sera la personne la plus respectueuse qui soit, en toute circonstance. »

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« La Beauté et l’Elégance ne meurent jamais. Elles s’aident et se complètent avec le temps. Elles subsistent dans les mémoires. Nous en reviendrons aux fondamentaux. Nous nous débarrasserons du superficiel et des dictats. Puisqu’au final, seules la Beauté et l’Elégance ne meurent jamais.»

Photos proposées par: Thierry Cambon

Texte: Anthony Navale

De la construction d’opinion.

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Mes collègues sont idiots. Avec eux tout est voué à rester dans une case, et le summum de l’aboutissement n’est pour eux que leur travail. Comme si, avec toutes les prédispositions que nous avions dès la naissance, la seule chose qui vaille la peine de vivre soit le fait de répéter la même tâche, tous les jours, toute notre vie. Potentiellement, n’importe lequel d’entre nous est capable de créer une fission nucléaire ou écrire un opéra qui arracherait les larmes du dernier des salops. Potentiellement. Mais non, c’est beaucoup plus réconfortant de se cantonner à un rôle prédéfini par quelqu’un d’autre plutôt que de se laisser surprendre par sa propre inspiration. Car finalement c’est ça dont il s’agit. Si vous demandez à n’importe qui s’il souhaite un meilleur travail ou ne pas travailler du tout, la réponse sera positive dans les deux cas. Preuve en est que nos boulots sont à chier, et que les gens s’en contentent malgré tout. C’est idiot.

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La majorité des grues espèrent la même chose, un chantier simple et rapide avec des équipes qui respectent les délais. Je suis différente. J’aurais rêvé être Tour Eiffel ou encore soutenir un pont un tant soit peu esthétique, ou au pire servir sur des chantiers de musées. Mon patron me surnomme «la vedette». Non pas qu’il ait pris conscience de mon talent, mais l’originale sur un chantier a toujours droit à un surnom. Bourré d’ironie cela va sans dire. Mais ses remarques ne détruisent pas ma détermination non. Ce qui la détruit c’est la perception des personnes.

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Que les gens nous regardent c’est une chose. Au mieux un enfant sera ébahi par notre taille, et il peut, mais jamais la fascination n’ira plus loin. Eux aussi sont fermés au principe de «chacun à sa place». Une grue est une grue. Pourtant, ces mêmes personnes sont ébahies par la Tour Eiffel justement. Alors qu’elle ne se déplace même pas! Elle a juste eu le mérite d’être considérée comme une oeuvre. Donc, dites aux gens, et à mes collègues, que telle chose est une oeuvre, et elle le sera. Inversement, telle chose ne le sera jamais, et vous comprendrez mon malheur. Ne peut-on pas reprendre la classification? Ou la garder pour soi? Pourrait-on avoir nos oeuvres bien à nous, même si celles ci sont capables de déplacer des objets de plusieurs tonnes? Et en quoi ne serait-ce pas un art d’être capable d’une telle performance? A partir de maintenant je me considèrerai comme une oeuvre d’art. Capable d’en créer d’autres.

Photos: Monsieur Gac

Texte: Anthony Navale

Ils sont où je les ai laissés.

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Je n’y ai pas vécu longtemps mais je m’en souviens parfaitement. J’y suis même né. Quand on est enfant on ne fait qu’observer. L’expérimentation arrive après. Dans leur observation, je remarquais que mes parents lâchaient prise quand ils étaient dans leur meute, notre famille. La meute vivait toujours dans des rues voisines, pour faciliter les retrouvailles incroyablement fréquentes. C’était ma réalité. Ce n’est que plus tard que j’ai compris que ma relation avec mes cousins étaient plus fortes que certains frères et sœurs que j’ai ensuite pu croiser. J’avais donc 15 « frères » et « sœurs ». Alors que mes parents semblaient s’amuser davantage qu’avec moi, je les comprenais puisque je ne buvais pas la même chose qu’eux, mes grands-parents eux les regardaient calmement. Deux générations qui observent celle qui les sépare. Leurs repas étaient très animés, j’ai arrêté de sursauter à cause du bruit grâce à eux. Je me rends compte qu’ils étaient plus jeunes que je ne le suis aujourd’hui. Et je suis très bruyant aujourd’hui.

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En dehors du bruit que j’ai vite appris à apprivoiser, j’ai expérimenté énormément de choses. Le rapport de mon corps avec la matière avant tout. Je comparais les textures entre elles. Le bois de certains jouets était plus brut, voire dangereux avec ses échardes, que le plastique de certains autres. Le plastique, lui, me semblait parfait, jusqu’à ce que l’impression dorée de la marque de fabrique ne se décolle pour rester coincé dans mes empreintes digitales. Je considérais ce phénomène comme « les échardes du plastique ». Plus douloureux que les échardes, il y avait la moquette courte. Je voulais imiter un de mes « frères » qui glissait sans cesse par terre chez lui, quand je me suis brûlé violemment les genoux… Il avait du parquet… Le sable lui me dégoûtait profondément surtout quand je le sentais enfoui à la base de mes cheveux. L’eau par contre était amusante. Les bords de mer sont un espace rêvé pour grandir. Mais le rêve ne dure pas longtemps si je me fie à eux.

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Grandir a en ça de tragique qu’on comprend que ce qu’ils font n’est pas la vérité. Et surtout qu’il ne faut pas forcément les suivre. Leurs rituels restaient les mêmes. Se voir, boire et rire. Ils étaient protégés de la vie jusqu’à ce que la vie se rappelle à eux. Le premier drame leur fit comprendre qu’on ne pouvait pas que boire, rire et manger. Et de spectateurs nous devenions acteurs. Ils se référaient à nous. Nous devenions une espèce de miroir plus ou moins bien réfléchissant. Pour certains, ils se sont mis à nous prendre au sérieux en s’occupant davantage de nous. Pour d’autres nous étions des ennemis, qui avions pour mission de leur rappeler le temps qui passe. Je n’ai pas appris qu’à distinguer le sable du plastique là-bas… J’ai découvert bien plus, et je suis parti.

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Je n’y retourne que pour des occasions bien précises. La joie de leurs repas n’existe plus que dans mes souvenirs. Leurs bruits me font à nouveau sursauter.

Photos: Monsieur Gac

Texte: Anthony Navale

I don’t mind the gap.

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J’attendais ce moment dès le mardi. Dès le mardi je me disais que nous étions « la veille du milieu de semaine avant le weekend », le weekend signifiant lui-même « la vie, la vraie, lâchage complet ». Il n’y a bien que le lundi que je devais être un peu en deçà de mes espérances, et certainement épuisé du weekend passé, puisque le lundi n’était que désespoir… Je réalisais que j’étais dans une boucle qui ne s’arrêterait jamais. Que j’étais conditionné à toujours attendre le weekend, et en l’occurrence commencer à l’attendre dès « la veille du milieu de semaine ». Le lundi était la prise de conscience de cette vie, finalement assez minable, qui consistait à me faire croire que mes efforts seraient récompensés par un repos mérité et une liberté sans limites réguliers. Mais dès que l’attente du weekend se remettait en place tout allait bien, je n’avais plus qu’à le fantasmer et y aller à fond dès le signal donné.

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Je l’ai rencontrée un samedi soir, ou plutôt un dimanche matin, puisque nous sommes incapables de resituer exactement l’heure et l’ordre dans lesquels nous sommes arrivés. Nous étions heureux dès l’instant où nous avons réalisé la passion que nous avions en commun! Elle envisageait la vie de la même façon que moi ! La seule différence dans son rituel c’est qu’elle comptait les « dodos » avant l’arrivée du weekend, ce qui avait un avantage certain sur ma méthode, puisque pour elle le lundi devenait « encore 4 dodos avant le weekend » ! Et 4 ça semble tout à fait surmontable ! Depuis j’utilise sa technique. Ça me permet de ne plus trop penser au cycle dans lequel nous sommes…

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Depuis nous ne nous quittons que par obligation professionnelle. Mais de temps en temps nous n’attendons pas le weekend pour vivre la vie comme nous l’entendons. Même à « encore 3 dodos » nous vivons l’instant sans limites ! Finalement l’angoisse de la routine a disparu, puisque même si ce cycle nous est imposé, nous le faisons ensemble. Et la solitude reste finalement la pire des choses devant n’importe lequel des cycles.

Photos: Yohann Lavéant

Texte: Anthony Navale

Roulocratie

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Nous étions parfaitement conscients du risque que nous prenions. Le règlement de la Communauté des Rouleurs était intransigeant et connu de tous. Mais nous voulions que les choses évoluent, du moins un peu. Nous voulions marquer l’histoire de la Communauté à notre façon. Certes les rassemblements immobiles étaient certainement le pire des crimes après celui de dépasser un Contrôleur de Roulage, mais nous devions être sûrs de notre message et de la méthode à suivre pour que notre opération soit forte, sensée et révolutionnaire. Donc nous arrêtions de rouler un instant pour établir la marche à suivre.

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L’évolution des rouleurs est évidente. Il suffit de voir les fossiles de nos ancêtres Ornithorouleurs, puis Reptilorouleurs et de notre forme actuelle de rouleurs pour comprendre que nous évoluons certes, mais que nous nous dirigeons toujours dans le même sens… Le règlement est très clair à ce sujet.

Art. 23: les rouleurs avancent en ne précédant que leur prédécesseur de roulage.

Art. 57: seuls sont autorisés à rouler, sur une cinquantaine de rouleurs en arrière, les Contrôleurs de Roulage assermentés par la Haute Communauté des Rouleurs.

Art. 753: un Rouleur immobile sera contourné par ses successeurs de roulage sur un écart de 2 impulsions maximum. Ces derniers reprendront le chemin initial dans l’attente qu’un Contrôleur de Roulage exécute le rouleur immobilisé, sauf si celui-ci est déjà décédé. Bien en entendu cette dernière loi a été allégée puisque désormais les contrôleurs demandent à l’immobilisé pourquoi il s’est immobilisé avant de tirer.

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Nous n’étions immobiles que depuis 2 minutes quand le Contrôleur qui nous précédait arriva à notre niveau. Il semblait vraiment dérouté et devait ne pas avoir eu beaucoup de cas extravagants dans sa carrière, les cinquantaines de rouleurs qui nous suivaient et nous précédaient étaient réputés pour leur discipline. C’est ce qui nous permit de gagner de précieuses secondes pour le convaincre de notre plan: autoriser, quelques moments dans nos journées de roulage, des pauses nous permettant de nous éloigner de la file, se reposer un peu, découvrir de nouveaux itinéraires à proposer à la Communauté et, pourquoi pas, changer l’ordre dans lequel nous roulions pour découvrir de nouveaux rouleurs… L’idée le troubla et dut même le séduire, lui qui avait le plus de liberté parmi nous avait bien dû apercevoir des rouleurs avec qui il aurait aimé échanger quelques mots, il devait même espérer que certains s’arrêtent exprès pour qu’il vienne les voir… La rêverie s’arrêta assez brusquement puisqu’il nous annonça que «non, la Communauté doit avancer» puis nous exécutât assez rapidement. Nous n’étions pas formés à fuir.

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La Haute Communauté des Rouleurs revint rapidement sur l’article 753 suite à cet incident qui fit grand bruit en haut lieu. Le rôle des Contrôleurs fut lui aussi révisé pour éviter la perversion de leurs esprits par divers incidents dans l’esprit de notre révolte. Les Contrôleurs étaient désormais exécutés suite à deux exécutions de leur part, sinon ils pourraient commencer à ingérer les idées de révolte entendues lors de rébellions (article 753.2). Depuis la communauté avance vite et bien.

Photos: Jérôme Sussiau

Texte: Anthony Navale

Entre chiens et loups.

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Depuis que je les ai croisées, je ne suis plus la même. Tout s’impose à moi comme un choix. Je suis obsédée par tous ces choix que la vie m’impose. J’étais pleine de certitudes, je n’avais pas à choisir puisqu’IL me guidait. J’étais complètement passive entre ses mains puisqu’IL s’en était servi pour écrire ce que je devais faire. Mais j’avais tort. Je devais choisir, entre marcher dans l’ombre ou marcher dans la lumière. 

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La lumière, je la voyais partout. Mais j’ai commencé à comprendre qu’elle n’était que faible. L’obscurité l’étouffait. Au début, mon regard et mon esprit s’efforçaient de s’accrocher à cette lumière, à sa puissance. Je n’étais qu’un moustique idiot attiré par une lampe. Dès le lendemain matin de leur rencontre, je commençais à comprendre que mes appareils ménagers étaient plus éteints qu’allumés. Que mon salon était plus souvent dans l’ombre qu’en plein soleil. Je me suis même surprise à pester contre l’agent immobilier qui me l’avait présenté comme un avantage… En me rendant à mon Église l’après-midi, je me suis rendue compte qu’elle même censurait la lumière à travers des vitraux ! 

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La vieille dame que je suis aurait dû songer à la mort bien avant. Mais je m’en remettais à Lui. Et surtout, songer à la mort implique de se mettre à songer à la vie, à sa vie. Et c’est une antenne télévisée, astucieusement combinée à la lumière, qui m’a rappelé que ma mort n’était plus très loin. Je l’ai vue comme un signe de mort avant même de penser à un crucifix. Pour la première fois de ma vie, la croix représentait ma tombe et non le symbole de mon créateur… Le bilan de ma vie s’en suivit rapidement. En pensant bien agir, j’ai mis ce qui m’arrangeait dans la lumière. Ce que je ne voulais pas voir était stratégiquement relégué dans l’obscurité. D’une prétendue vertu, j’avais en fait mis en place un stratagème d’archivage définitif. Je ne prenais pas le temps d’analyser les gens ou les situations, ça partait soit dans l’un, soit dans l’autre. Les uns devenaient ma réalité et ma morale, les autres n’existaient simplement plus. L’obscurité n’existait plus, et je ne me suis mise qu’à la regarder à nouveau à cause d’elles… 

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Que foutaient-elles dans un lieu public ? Dans un cimetière qui plus est ! J’étais venue sur la tombe du Baron Haussmann comme j’aime le faire dès que la saison le permet, quand j’ai aperçu ces deux filles. Malgré mes prédispositions à mettre l’homosexualité dans l’ombre de mon jugement sans aucune forme de procès, j’ai su en les voyant que ce n’était pas deux amies en promenade. Non. Elles étaient ensemble. C’était un couple ! Qui s’aimait ! Et le simple fait d’avoir envisager la notion d’Amour entre deux femmes, m’a fait m’asseoir un instant. Je me suis même mise à rire dans mon malaise en voyant la sépulture d’Alfred de Musset et en repensant à sa liaison avec George Sand… Alfred et George… Et c’est là qu’est apparu le premier choix. Devais-je continuer mon malaise ou me laisser aller à plus de légèreté ? Devais-je rester dans le confort de ma lumière ou commencer à m’intéresser à tout ce que j’avais bazardé dans l’ombre ? Il était temps que je commence à faire cet inventaire, avant qu’on vienne s’asseoir sur la mienne, de tombe.

Photos: Grégory Stephan

Texte: Antoine Navale

Métaphysique champêtre.

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Depuis que nous vivons ici, je me sens mourir un peu plus. La vie à la campagne a ce charme de vous rendre une liberté et l’espace perdus en ville, pour ensuite finir de vous achever, dans un cadre plus confortable. À mon arrivée c’était forcément plaisant tout cet espace, mais j’étais déjà résigné à ne plus beaucoup me déplacer. Donc un peu plus ou un peu moins. Et puis, il fait toujours trop chaud ici.

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Il n’y a bien qu’elle que ça ne dérange pas. Toujours affalée au soleil depuis notre emménagement. Elle doit certainement vouloir réduire l’écart de nos espérances de vie en s’exposant ainsi. Elle sait que les hommes vivent moins longtemps que les femmes, alors elle crame la distance. Littéralement.

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Cache-cache. Ce jardin est tellement grand qu’il m’arrive de m’y perdre. « Cache-cache »… En quoi le fait de répéter deux fois un mot le transforme-t-il en jeu ? On pourrait simplement « jouer à se cacher ». On n’a pas donné un autre mot pour parler d’un « porte manteau » ou d’une « pince à linge ». C’est nommé par sa fonction. C’est simple. « Cache-cache » n’est que l’illustration de l’imagination des enfants. Qui se permettent tout. Ils agissent comme des adultes alcoolisés mais ça ne choque personne. Il me semble n’avoir jamais agi de la sorte. Mon enfance est trop lointaine. Enfin je crois.

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Mes meurtres eux sont restés secrets. J’ai réussi à lui cacher ce penchant sordide, tout en exploitant les capacités de ce jardin. « Cache-cache » je vous disais. Le calme de la campagne est favorable à cette activité. Certains dorment au soleil, d’autres dorment encore plus profondément sous la terre chauffée par le soleil. Je n’ai fait que les décaler un peu plus vers le bas en somme. Mais je ne m’en prendrais jamais à elle. Trop attaché.

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Il n’y a bien qu’ici que je suis au calme, au frais. Je ne fuis cet endroit que lorsqu’il y a des invités qui décident de faire un jeu pour se remettre du soleil qu’ils se sont infligés la journée. Je ne joue jamais avec eux, de toute façon on ne me propose jamais de jouer.

Sûrement un des avantages d’être un chat.

Photos: Monsieur Gac

Texte: Anthony Navale