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Une philosophie de la beauté.

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«La véritable beauté est innée. C’est une beauté universelle: des traits fins sur un visage symétrique pour une personne sans maquillage voire sans coiffure. Rasez la tête d’une belle personne et elle restera belle, malgré l’image que nous avons des cheveux rasés. Car là encore l’image n’est pas réelle. Elle est suggérée. La beauté non. La beauté provoque une émotion en chacun de nous. Nous nous entendons tous à dire d’une personne belle qu’elle l’est. Certains se fourvoient en pensant avoir des goûts bien précis et ne pas trouver la beauté là où tout le monde la voit. Ils confondent Beauté et Goût. Ce qui est beau n’est pas à leur goût, soit, mais cela reste beau. D’autre confondent encore Beauté et Désir. Ceux là sont encore plus dangereux que les goûteux puisqu’ils placent leur désir avant leur capacité de jugement. Leur désir est le prolongement actif de leurs goûts reléguant ainsi la Beauté sur un second plan. Voire pire. »

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« L’Elégance, elle, est acquise. On ne nait pas élégant, on le devient. Là les images, les codes et l’éducation entrent clairement en jeu. L’insolence de la Beauté pourra porter sur son caractère rebelle ou parfois méchant. L’apprivoiser avec l’Elégance relève du défi. Celle ci se compose de manières, de principes et d’attitudes. Il ne suffit pas d’avoir une garde robe fournie pour être élégant. Il ne suffit pas d’être courtois non plus. C’est un mode de vie rigoureux, qui prend soin de soi et des autres. Il inspire le respect puisque les autres connaissent et subissent les mêmes règles! L’élégance passe fondamentalement par le respect. L’élégant sera la personne la plus respectueuse qui soit, en toute circonstance. »

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« La Beauté et l’Elégance ne meurent jamais. Elles s’aident et se complètent avec le temps. Elles subsistent dans les mémoires. Nous en reviendrons aux fondamentaux. Nous nous débarrasserons du superficiel et des dictats. Puisqu’au final, seules la Beauté et l’Elégance ne meurent jamais.»

Photos proposées par: Thierry Cambon

Texte: Anthony Navale

De la construction d’opinion.

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Mes collègues sont idiots. Avec eux tout est voué à rester dans une case, et le summum de l’aboutissement n’est pour eux que leur travail. Comme si, avec toutes les prédispositions que nous avions dès la naissance, la seule chose qui vaille la peine de vivre soit le fait de répéter la même tâche, tous les jours, toute notre vie. Potentiellement, n’importe lequel d’entre nous est capable de créer une fission nucléaire ou écrire un opéra qui arracherait les larmes du dernier des salops. Potentiellement. Mais non, c’est beaucoup plus réconfortant de se cantonner à un rôle prédéfini par quelqu’un d’autre plutôt que de se laisser surprendre par sa propre inspiration. Car finalement c’est ça dont il s’agit. Si vous demandez à n’importe qui s’il souhaite un meilleur travail ou ne pas travailler du tout, la réponse sera positive dans les deux cas. Preuve en est que nos boulots sont à chier, et que les gens s’en contentent malgré tout. C’est idiot.

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La majorité des grues espèrent la même chose, un chantier simple et rapide avec des équipes qui respectent les délais. Je suis différente. J’aurais rêvé être Tour Eiffel ou encore soutenir un pont un tant soit peu esthétique, ou au pire servir sur des chantiers de musées. Mon patron me surnomme «la vedette». Non pas qu’il ait pris conscience de mon talent, mais l’originale sur un chantier a toujours droit à un surnom. Bourré d’ironie cela va sans dire. Mais ses remarques ne détruisent pas ma détermination non. Ce qui la détruit c’est la perception des personnes.

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Que les gens nous regardent c’est une chose. Au mieux un enfant sera ébahi par notre taille, et il peut, mais jamais la fascination n’ira plus loin. Eux aussi sont fermés au principe de «chacun à sa place». Une grue est une grue. Pourtant, ces mêmes personnes sont ébahies par la Tour Eiffel justement. Alors qu’elle ne se déplace même pas! Elle a juste eu le mérite d’être considérée comme une oeuvre. Donc, dites aux gens, et à mes collègues, que telle chose est une oeuvre, et elle le sera. Inversement, telle chose ne le sera jamais, et vous comprendrez mon malheur. Ne peut-on pas reprendre la classification? Ou la garder pour soi? Pourrait-on avoir nos oeuvres bien à nous, même si celles ci sont capables de déplacer des objets de plusieurs tonnes? Et en quoi ne serait-ce pas un art d’être capable d’une telle performance? A partir de maintenant je me considèrerai comme une oeuvre d’art. Capable d’en créer d’autres.

Photos: Monsieur Gac

Texte: Anthony Navale

Ils sont où je les ai laissés.

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Je n’y ai pas vécu longtemps mais je m’en souviens parfaitement. J’y suis même né. Quand on est enfant on ne fait qu’observer. L’expérimentation arrive après. Dans leur observation, je remarquais que mes parents lâchaient prise quand ils étaient dans leur meute, notre famille. La meute vivait toujours dans des rues voisines, pour faciliter les retrouvailles incroyablement fréquentes. C’était ma réalité. Ce n’est que plus tard que j’ai compris que ma relation avec mes cousins étaient plus fortes que certains frères et sœurs que j’ai ensuite pu croiser. J’avais donc 15 « frères » et « sœurs ». Alors que mes parents semblaient s’amuser davantage qu’avec moi, je les comprenais puisque je ne buvais pas la même chose qu’eux, mes grands-parents eux les regardaient calmement. Deux générations qui observent celle qui les sépare. Leurs repas étaient très animés, j’ai arrêté de sursauter à cause du bruit grâce à eux. Je me rends compte qu’ils étaient plus jeunes que je ne le suis aujourd’hui. Et je suis très bruyant aujourd’hui.

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En dehors du bruit que j’ai vite appris à apprivoiser, j’ai expérimenté énormément de choses. Le rapport de mon corps avec la matière avant tout. Je comparais les textures entre elles. Le bois de certains jouets était plus brut, voire dangereux avec ses échardes, que le plastique de certains autres. Le plastique, lui, me semblait parfait, jusqu’à ce que l’impression dorée de la marque de fabrique ne se décolle pour rester coincé dans mes empreintes digitales. Je considérais ce phénomène comme « les échardes du plastique ». Plus douloureux que les échardes, il y avait la moquette courte. Je voulais imiter un de mes « frères » qui glissait sans cesse par terre chez lui, quand je me suis brûlé violemment les genoux… Il avait du parquet… Le sable lui me dégoûtait profondément surtout quand je le sentais enfoui à la base de mes cheveux. L’eau par contre était amusante. Les bords de mer sont un espace rêvé pour grandir. Mais le rêve ne dure pas longtemps si je me fie à eux.

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Grandir a en ça de tragique qu’on comprend que ce qu’ils font n’est pas la vérité. Et surtout qu’il ne faut pas forcément les suivre. Leurs rituels restaient les mêmes. Se voir, boire et rire. Ils étaient protégés de la vie jusqu’à ce que la vie se rappelle à eux. Le premier drame leur fit comprendre qu’on ne pouvait pas que boire, rire et manger. Et de spectateurs nous devenions acteurs. Ils se référaient à nous. Nous devenions une espèce de miroir plus ou moins bien réfléchissant. Pour certains, ils se sont mis à nous prendre au sérieux en s’occupant davantage de nous. Pour d’autres nous étions des ennemis, qui avions pour mission de leur rappeler le temps qui passe. Je n’ai pas appris qu’à distinguer le sable du plastique là-bas… J’ai découvert bien plus, et je suis parti.

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Je n’y retourne que pour des occasions bien précises. La joie de leurs repas n’existe plus que dans mes souvenirs. Leurs bruits me font à nouveau sursauter.

Photos: Monsieur Gac

Texte: Anthony Navale

I don’t mind the gap.

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J’attendais ce moment dès le mardi. Dès le mardi je me disais que nous étions « la veille du milieu de semaine avant le weekend », le weekend signifiant lui-même « la vie, la vraie, lâchage complet ». Il n’y a bien que le lundi que je devais être un peu en deçà de mes espérances, et certainement épuisé du weekend passé, puisque le lundi n’était que désespoir… Je réalisais que j’étais dans une boucle qui ne s’arrêterait jamais. Que j’étais conditionné à toujours attendre le weekend, et en l’occurrence commencer à l’attendre dès « la veille du milieu de semaine ». Le lundi était la prise de conscience de cette vie, finalement assez minable, qui consistait à me faire croire que mes efforts seraient récompensés par un repos mérité et une liberté sans limites réguliers. Mais dès que l’attente du weekend se remettait en place tout allait bien, je n’avais plus qu’à le fantasmer et y aller à fond dès le signal donné.

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Je l’ai rencontrée un samedi soir, ou plutôt un dimanche matin, puisque nous sommes incapables de resituer exactement l’heure et l’ordre dans lesquels nous sommes arrivés. Nous étions heureux dès l’instant où nous avons réalisé la passion que nous avions en commun! Elle envisageait la vie de la même façon que moi ! La seule différence dans son rituel c’est qu’elle comptait les « dodos » avant l’arrivée du weekend, ce qui avait un avantage certain sur ma méthode, puisque pour elle le lundi devenait « encore 4 dodos avant le weekend » ! Et 4 ça semble tout à fait surmontable ! Depuis j’utilise sa technique. Ça me permet de ne plus trop penser au cycle dans lequel nous sommes…

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Depuis nous ne nous quittons que par obligation professionnelle. Mais de temps en temps nous n’attendons pas le weekend pour vivre la vie comme nous l’entendons. Même à « encore 3 dodos » nous vivons l’instant sans limites ! Finalement l’angoisse de la routine a disparu, puisque même si ce cycle nous est imposé, nous le faisons ensemble. Et la solitude reste finalement la pire des choses devant n’importe lequel des cycles.

Photos: Yohann Lavéant

Texte: Anthony Navale

Roulocratie

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Nous étions parfaitement conscients du risque que nous prenions. Le règlement de la Communauté des Rouleurs était intransigeant et connu de tous. Mais nous voulions que les choses évoluent, du moins un peu. Nous voulions marquer l’histoire de la Communauté à notre façon. Certes les rassemblements immobiles étaient certainement le pire des crimes après celui de dépasser un Contrôleur de Roulage, mais nous devions être sûrs de notre message et de la méthode à suivre pour que notre opération soit forte, sensée et révolutionnaire. Donc nous arrêtions de rouler un instant pour établir la marche à suivre.

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L’évolution des rouleurs est évidente. Il suffit de voir les fossiles de nos ancêtres Ornithorouleurs, puis Reptilorouleurs et de notre forme actuelle de rouleurs pour comprendre que nous évoluons certes, mais que nous nous dirigeons toujours dans le même sens… Le règlement est très clair à ce sujet.

Art. 23: les rouleurs avancent en ne précédant que leur prédécesseur de roulage.

Art. 57: seuls sont autorisés à rouler, sur une cinquantaine de rouleurs en arrière, les Contrôleurs de Roulage assermentés par la Haute Communauté des Rouleurs.

Art. 753: un Rouleur immobile sera contourné par ses successeurs de roulage sur un écart de 2 impulsions maximum. Ces derniers reprendront le chemin initial dans l’attente qu’un Contrôleur de Roulage exécute le rouleur immobilisé, sauf si celui-ci est déjà décédé. Bien en entendu cette dernière loi a été allégée puisque désormais les contrôleurs demandent à l’immobilisé pourquoi il s’est immobilisé avant de tirer.

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Nous n’étions immobiles que depuis 2 minutes quand le Contrôleur qui nous précédait arriva à notre niveau. Il semblait vraiment dérouté et devait ne pas avoir eu beaucoup de cas extravagants dans sa carrière, les cinquantaines de rouleurs qui nous suivaient et nous précédaient étaient réputés pour leur discipline. C’est ce qui nous permit de gagner de précieuses secondes pour le convaincre de notre plan: autoriser, quelques moments dans nos journées de roulage, des pauses nous permettant de nous éloigner de la file, se reposer un peu, découvrir de nouveaux itinéraires à proposer à la Communauté et, pourquoi pas, changer l’ordre dans lequel nous roulions pour découvrir de nouveaux rouleurs… L’idée le troubla et dut même le séduire, lui qui avait le plus de liberté parmi nous avait bien dû apercevoir des rouleurs avec qui il aurait aimé échanger quelques mots, il devait même espérer que certains s’arrêtent exprès pour qu’il vienne les voir… La rêverie s’arrêta assez brusquement puisqu’il nous annonça que «non, la Communauté doit avancer» puis nous exécutât assez rapidement. Nous n’étions pas formés à fuir.

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La Haute Communauté des Rouleurs revint rapidement sur l’article 753 suite à cet incident qui fit grand bruit en haut lieu. Le rôle des Contrôleurs fut lui aussi révisé pour éviter la perversion de leurs esprits par divers incidents dans l’esprit de notre révolte. Les Contrôleurs étaient désormais exécutés suite à deux exécutions de leur part, sinon ils pourraient commencer à ingérer les idées de révolte entendues lors de rébellions (article 753.2). Depuis la communauté avance vite et bien.

Photos: Jérôme Sussiau

Texte: Anthony Navale

Entre chiens et loups.

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Depuis que je les ai croisées, je ne suis plus la même. Tout s’impose à moi comme un choix. Je suis obsédée par tous ces choix que la vie m’impose. J’étais pleine de certitudes, je n’avais pas à choisir puisqu’IL me guidait. J’étais complètement passive entre ses mains puisqu’IL s’en était servi pour écrire ce que je devais faire. Mais j’avais tort. Je devais choisir, entre marcher dans l’ombre ou marcher dans la lumière. 

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La lumière, je la voyais partout. Mais j’ai commencé à comprendre qu’elle n’était que faible. L’obscurité l’étouffait. Au début, mon regard et mon esprit s’efforçaient de s’accrocher à cette lumière, à sa puissance. Je n’étais qu’un moustique idiot attiré par une lampe. Dès le lendemain matin de leur rencontre, je commençais à comprendre que mes appareils ménagers étaient plus éteints qu’allumés. Que mon salon était plus souvent dans l’ombre qu’en plein soleil. Je me suis même surprise à pester contre l’agent immobilier qui me l’avait présenté comme un avantage… En me rendant à mon Église l’après-midi, je me suis rendue compte qu’elle même censurait la lumière à travers des vitraux ! 

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La vieille dame que je suis aurait dû songer à la mort bien avant. Mais je m’en remettais à Lui. Et surtout, songer à la mort implique de se mettre à songer à la vie, à sa vie. Et c’est une antenne télévisée, astucieusement combinée à la lumière, qui m’a rappelé que ma mort n’était plus très loin. Je l’ai vue comme un signe de mort avant même de penser à un crucifix. Pour la première fois de ma vie, la croix représentait ma tombe et non le symbole de mon créateur… Le bilan de ma vie s’en suivit rapidement. En pensant bien agir, j’ai mis ce qui m’arrangeait dans la lumière. Ce que je ne voulais pas voir était stratégiquement relégué dans l’obscurité. D’une prétendue vertu, j’avais en fait mis en place un stratagème d’archivage définitif. Je ne prenais pas le temps d’analyser les gens ou les situations, ça partait soit dans l’un, soit dans l’autre. Les uns devenaient ma réalité et ma morale, les autres n’existaient simplement plus. L’obscurité n’existait plus, et je ne me suis mise qu’à la regarder à nouveau à cause d’elles… 

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Que foutaient-elles dans un lieu public ? Dans un cimetière qui plus est ! J’étais venue sur la tombe du Baron Haussmann comme j’aime le faire dès que la saison le permet, quand j’ai aperçu ces deux filles. Malgré mes prédispositions à mettre l’homosexualité dans l’ombre de mon jugement sans aucune forme de procès, j’ai su en les voyant que ce n’était pas deux amies en promenade. Non. Elles étaient ensemble. C’était un couple ! Qui s’aimait ! Et le simple fait d’avoir envisager la notion d’Amour entre deux femmes, m’a fait m’asseoir un instant. Je me suis même mise à rire dans mon malaise en voyant la sépulture d’Alfred de Musset et en repensant à sa liaison avec George Sand… Alfred et George… Et c’est là qu’est apparu le premier choix. Devais-je continuer mon malaise ou me laisser aller à plus de légèreté ? Devais-je rester dans le confort de ma lumière ou commencer à m’intéresser à tout ce que j’avais bazardé dans l’ombre ? Il était temps que je commence à faire cet inventaire, avant qu’on vienne s’asseoir sur la mienne, de tombe.

Photos: Grégory Stephan

Texte: Antoine Navale

Métaphysique champêtre.

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Depuis que nous vivons ici, je me sens mourir un peu plus. La vie à la campagne a ce charme de vous rendre une liberté et l’espace perdus en ville, pour ensuite finir de vous achever, dans un cadre plus confortable. À mon arrivée c’était forcément plaisant tout cet espace, mais j’étais déjà résigné à ne plus beaucoup me déplacer. Donc un peu plus ou un peu moins. Et puis, il fait toujours trop chaud ici.

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Il n’y a bien qu’elle que ça ne dérange pas. Toujours affalée au soleil depuis notre emménagement. Elle doit certainement vouloir réduire l’écart de nos espérances de vie en s’exposant ainsi. Elle sait que les hommes vivent moins longtemps que les femmes, alors elle crame la distance. Littéralement.

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Cache-cache. Ce jardin est tellement grand qu’il m’arrive de m’y perdre. « Cache-cache »… En quoi le fait de répéter deux fois un mot le transforme-t-il en jeu ? On pourrait simplement « jouer à se cacher ». On n’a pas donné un autre mot pour parler d’un « porte manteau » ou d’une « pince à linge ». C’est nommé par sa fonction. C’est simple. « Cache-cache » n’est que l’illustration de l’imagination des enfants. Qui se permettent tout. Ils agissent comme des adultes alcoolisés mais ça ne choque personne. Il me semble n’avoir jamais agi de la sorte. Mon enfance est trop lointaine. Enfin je crois.

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Mes meurtres eux sont restés secrets. J’ai réussi à lui cacher ce penchant sordide, tout en exploitant les capacités de ce jardin. « Cache-cache » je vous disais. Le calme de la campagne est favorable à cette activité. Certains dorment au soleil, d’autres dorment encore plus profondément sous la terre chauffée par le soleil. Je n’ai fait que les décaler un peu plus vers le bas en somme. Mais je ne m’en prendrais jamais à elle. Trop attaché.

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Il n’y a bien qu’ici que je suis au calme, au frais. Je ne fuis cet endroit que lorsqu’il y a des invités qui décident de faire un jeu pour se remettre du soleil qu’ils se sont infligés la journée. Je ne joue jamais avec eux, de toute façon on ne me propose jamais de jouer.

Sûrement un des avantages d’être un chat.

Photos: Monsieur Gac

Texte: Anthony Navale

Laissez-moi vous regarder.

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J’ai toujours été perplexe concernant Paris. Je ne supporte plus les gens dans ses rues. Je ne supporte plus l’odeur de certains quartiers, ni les habitants que je croise. Pourtant j’ai toujours voulu y vivre. J’ai toujours voulu en faire partie, de ces rues, de ces gens, et peut être de ces odeurs… Lorsque j’ai découvert cette trappe sur mon palier, je me suis rappelé pourquoi j’avais aimé Paris. Quand on l’observe depuis un toit, on l’apprécie sans subir ses parasites grouillants. C’est beau, c’est inégal, et c’est unique.

C’est aussi cette trappe qui m’a mené à lui.

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La première fois qu’il m’a rejoint sur le toit, j’étais vexé. Pourquoi faut-il que les bonnes adresses soient prises d’assaut dès qu’on a le malheur de les découvrir ? D’autant que je n’en avais parlé à personne. Il est monté tout naturellement. S’est dirigé vers moi en plaisantant « excusez-moi, vous n’auriez pas une cigarette ? »

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J’observais Paris depuis des semaines pendant que lui m’observait. Il était amusé de me voir tirer la gueule « en bas » et être serein ici. Je lui expliquais qu’il était correct, voire obligatoire d’être un zombie dans le métro, mais que chez soi, chaque parisien redevenait certainement humain. Ma vision de notre ville l’amusait. Il venait d’arriver, son accent le trahissait. Il y croyait encore. Pour lui, il suffisait d’oser. Oser parler aux inconnus, oser sourire « en bas », oser traverser la rue pour pénétrer dans l’immeuble d’en face et monter au dernier étage en espérant que l’accès vers le toit ne soit pas privatif, pour finalement oser demander une cigarette à quelqu’un qu’on observait. Il a eu raison.

Désormais, quand il pleut, il ne monte que chez moi.

Photos: Jérôme Sussiau

Texte: Anthony Navale

 

Nous n’étions pas enclins à vivre ensemble.

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De par notre éducation commune, nous n’aurions jamais dû en arriver là. J’ai toujours cultivé ma différence. Pour moi avant tout. Je rêvais de légèreté, que tout soit simple. J’ai choisi le BLEU pour ça. Pour que tout soit plus léger. Aucune provocation. Juste un message simple. Mon message n’était pas clair. Du moins, les autres n’étaient pas prêts pour ça. 

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Je ne sais pas pourquoi il a eu cette idée. Je ne comprends jamais ses idées. Il savait parfaitement qu’il nous provoquait, sous ses airs de ne pas y toucher. Je l’ai pris pour moi tout d’abord, on m’a toujours donné le rôle du second. Second, pourquoi pas ? Mais second après lui je ne peux plus… C’est pourquoi en réponse directe à son BLEU ridiculement léger, j’ai tranché pour le ROUGE. Il devait voir que je ne serais jamais comme lui ! Le ROUGE lui déclarait la guerre ! Il a pourtant trouvé le moyen de me faire un compliment ! Comme s’il se foutait totalement de la situation dans laquelle nous étions ! Il voulait avoir un coup d’avance encore une fois. Je le défiais, et il prétendait qu’il était déjà au-dessus de cette défiance ! Je vomis cette fausse sérénité, je vomis son BLEU, je le vomis lui. Et mon ROUGE ne laissera plus aucune trace de tout ça, il brûlera le dégoût, son dédain, ma défiance, rien ne survivra ! 

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Je fonctionne toujours par tradition. Par tradition le ORANGE était acceptable. Par tradition le ORANGE était notre origine commune, nous avions été conçus de cette façon. Par tradition nous devions nous voir, tous les ans, pour le même dîner. La tradition était parfaitement respectée, jusqu’au jour où un de nous a fait le choix de rompre avec le ORANGE. Ça m’a tout d’abord surpris, et puis je me suis dit que la tradition du dîner ne reposait pas que sur le ORANGE. Ce n’était qu’un élément de notre tradition. Lorsque le ROUGE fut introduit, là j’ai mis plus de temps à m’en remettre. Pourquoi vouloir apporter tant de nouveaux éléments à notre rendez-vous ? Depuis toujours nous étions trois ORANGEs. Et maintenant je me portais seul garant de la tradition. Je devais être fort pour ne pas céder et maintenir ce qui nous a toujours unis. Alors cette année j’ai décidé de ne pas changer comme les autres l’avaient fait. Cette année, comme toutes les autres, passées et à venir, je resterai ORANGE. 

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Nous ne communiquions plus. Ce dîner fut plus court que les autres. Nous ne le savions pas mais ce dîner n’avait plus de sens. Le dernier toast fut un au revoir. C’est aux adieux que nous levions notre verre.

Photos: Monsieur Gac

Texte: Anthony Navale